Doc & Doc au Forum des Images : les 20 ans de la revue « IMAGES documentaires »

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Mardi 12 février : << Je ne veux plus jouer ! [...] Je ne veux plus faire de cinéma ! >> *

« Quarante ans durant, les forces armées chiliennes n’ont pas eu besoin d’intervenir pour assurer la continuité du système. Mais en ce milieu de l’année 1973, voyant le régime risquer d’être débordé par le processus révolutionnaire, la majorité des officiers paraît disposée à le faire. »

Cette même année 1973 vit Patricio Guzmán saisir sa caméra, accompagnant sans le savoir chaque soubresaut de la machine infernale, suivant les déclics de chacun des rouages qui menèrent Pinochet au pouvoir.

La Bataille du Chili, la lutte d’un peuple sans armes : la lutte d’un cinéaste sans pellicule

Suite au blocus imposé par les États-Unis, Guzmán dut d’abord écrire à Chris Marker pour obtenir une caisse de munitions, expédiées directement, à la demande de Marker, de Kodak à Santiago. Deux semaines après le coup d’état du 11 septembre 1973 fomenté par les officiers fascistes contre le plébiscité Salvador Allende, Guzmán dut ensuite fuir le pays pour pouvoir monter le film à Cuba, six ans durant. Entre-temps, que s’est-il passé ? Pendant neuf mois, les travailleurs chiliens ont manifesté. Les conservateurs ont tremblé. La démocratie aussi. Allende n’a pas cédé. La démocratie, oui. L’armée a régulièrement sillonné les usines afin d’étouffer tout soulèvement prolétaire. Les tanks ont souillé les rues de Santiago. Un reporter argentin a filmé sa propre mort.

La Bataille du Chili aurait pu être un western si ses héros avaient pris la peine d’y mourir devant l’objectif. Portés par le même souffle épique, ses protagonistes ne meurent pas devant la caméra, mais bel et bien derrière, avec ou sans Nagra au poing. Seule différence : la bravoure n’est plus une pose affectée, mais une nécessité. Le cinéma n’est plus un art, mais une arme redoutable, surtout pour les ennemis de la liberté. Et le suspense, pour nous, cède à une véritable angoisse, celle de connaître déjà la fin… Nous ne connaissons que partiellement celle de Ceci n’est pas un film, sorti il y a près d’un an et demi. Jafar Panahi a-t-il été arrêté pour avoir sorti les poubelles, muni d’une caméra ? Une chose est sûre, le cinéaste prépare toujours son entrée en prison : six ans de réclusion et vingt ans d’interdiction de filmer. Accusé d’espionnage, Mojtaba Mirtahmasb a quant à lui déjà été incarcéré, le 18 septembre 2011, avec six autres réalisateurs iraniens.

 

Ceci n’est pas (qu’)un film, mais un témoignage historique

À l’occasion des vingt ans de la revue IMAGES documentaires, l’association Documentaire sur grand écran consacre son Doc&Doc de février à la résistance, ciblant sa programmation sur deux films qui ont bien failli ne jamais rencontrer l’écran. Une bonne raison d’aller se recueillir devant sachant que le Chili et l’Iran partagent un autre point commun, leurs envols ayant été respectivement lestés par l’impérialisme américain. Petite piqûre de rappel… 1951 : élu démocratiquement premier ministre, Mossadegh souhaite l’autonomie de l’Iran, alors dépendant du soutien financier de l’Angleterre. Pour qu’elle puisse avant tout profiter aux travailleurs iraniens, Mossadegh nationalise la production du pétrole sur lequel les britanniques décident donc de lancer un embargo. Le Royaume-Uni ayant refusé toutes les propositions d’accords, et même tenté de renverser Mossadegh, le divorce entre les deux nations est légitimement consommé : les colons sont expulsés d’Iran et interdits sur le territoire. Churchill agite le pantin communiste pour mieux effaroucher Eisenhower, qui envoie la CIA semer la zizanie en Iran. Août 1953 : le Shah limoge Mossadegh, les émeutes éclatent dans tout le pays. Vandales, généraux et journalistes sont payés par la CIA pour aller démolir l’image et la résidence de Mossadegh. La démocratie iranienne se consume aussi vite qu’elle est née, le général Zahedi est imposé comme nouveau Premier ministre. S’ensuivent les nouvelles guerres de croisade que l’on connaît et leurs dommages plus que collatéraux (1).

Non contente d’avoir pulvérisé les progrès iraniens, la psychose anti-marxiste pousse ensuite la CIA – plus vagabonde encore que Tintin – à intervenir au Chili : « une des raisons d’éliminer le commandant Araya était d’empêcher qu’Allende soit informé de ce qui se passe alors dans les cercles militaires de Valparaiso. C’est là qu’une partie des officiers commencent à planifier le coup d’état, avec l’aide du gouvernement américain ». Histoire de scléroser le pays et de saboter les efforts d’Allende pour maintenir le gouvernement, l’extrême droite encourage les entrepreneurs de transport à la grève illimitée, obligeant la population à se ravitailler elle-même. Cinq millions de dollars ont été offerts aux grévistes par la CIA. Allende envoie des hommes pour demander la reprise du travail. Les images sont filmées par Canal 13. L’opposition contrôlant la majorité des médias, ces images seront montrées en boucle et présentées comme une violation de territoire : un scandale voué à rallier la classe moyenne, encore affolée par les 250 attentats à la dynamite entraînés par l’omniprésente CIA. Les officiers constitutionnalistes démissionnent un à un. Le ballon atterrit entre les mains de Pinochet qui, lui, ne le lâchera plus.

 
D’aucuns déploreraient que ceci n’est décidément pas une chronique mais bien un cours d’histoire. Néanmoins, pour Guzmán, ceci n’est pas un cours d’histoire, mais bien un cruel scénario politique. Le témoignage multi-récompensé de Guzmán est arrivé jusqu’à nous, celui de Panahi également, bien qu’il soit contraint de ne plus tourner dans la rue. Espérons que Jafar Panahi pourra au moins continuer à agir depuis son salon. Ironie du sort : lorsque Lars von Trier s’est payé le luxe de réaliser Dogville (2003) à partir d’un décor en studio schématisé au sol, il n’imaginait sûrement pas que le porte-parole du néoréalisme iranien serait condamné à en faire autant quelques années plus tard sur son propre tapis.

Séance de 19h :
Ceci n’est pas un film (2011, 75’), de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb.
Précédée d’une rencontre avec le comité de rédaction d’IMAGES documentaires.

Séance de 21h :
La Bataille du Chili, la lutte d’un peuple sans armes, 2ème partie – Le coup d’État (1977, 90’), de Patricio Guzmán (seconde partie de la trilogie).
En présence de Patricio Guzmán.

* Mina dans Le Miroir (1997) de Jafar Panahi.
(1) Tiré d’une précédente chronique sur le film de Shirin Neshat, Women Without Men (2011).


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