Days

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Le cheminement des êtres solitaires

Solitude visuelle et sonore

Assis sur son balcon, un homme regarde la pluie tomber… C’est ainsi que débute Days, le onzième film du réalisateur taïwanais Tsaï Ming-Liang. L’auteur s’étant fait assez rare ces derniers temps (son dernier long-métrage remontant à 2013) l’attente était grande. Comme pour ses précédents opus l’histoire développée est simple et minimaliste : un homme malade, solitaire, déambule dans un Taïwan dédalique avant d’aller se faire masser chez un professionnel. Et comme dans ses précédents opus, c’est la mise en évidence de la solitude induite par nos sociétés contemporaines qui est le moteur du récit. Au niveau de l’image, cette solitude est ainsi exhibée de deux façons. D’une part, les deux protagonistes sont souvent représentés seuls dans des espaces dépeuplés ou clos, le tout filmé très majoritairement au travers de plans-séquences longs et statiques. L’avantage de ce dispositif est qu’en plus de la solitude, ils tendent à révéler toute une série de petits mouvements dans les environnements normalement peu visibles à l’œil et dont la fugacité, la fragilité, contribuent à la poésie du film. Ici, ce sont des feuilles agitées par le vent, là, il s’agit de reflets dans l’eau, ici encore, un chat passe au loin, à l’étage d’un immeuble qui semble abandonné. Dans une forme de contre-pied, la seconde façon dont est dévoilée la solitude des personnages à l’image est la présence, dans certaines séquences, du mouvement ample de foules anonymes (traversées par les protagonistes) ou de véhicules franchissant le cadre à de grandes vitesses. Par la lenteur  de leurs  actions et leurs déplacements, par leur déphasage avec celui des mouvements, les deux hommes se retrouvent davantage isolés au sein de leur société.

La claustration de ses deux personnages est ensuite accentuée par Tsaï Ming-Liang grâce à son travail de la bande sonore, à chaque changement de séquence se joint un changement paradoxalement audible d’ambiance. Ledit paradoxe résidant dans le fait que presque toutes ces ambiances sont calmes et silencieuses ; la différence de timbres de ces silences étant rendue d’autant plus perceptible par le passage d’un lieu à l’autre. Ces lieux s’en trouvent ainsi radicalement séparés et isolés les uns des autres et uniquement reliés par le parcours des deux personnages. En plus de cela, ces ambiances, associées à la fixité du cadre, sont utiles pour créer un puissant hors-champ qui, ponctuellement, se voit traversé par des sons comme ceux d’avions en haute altitude ou d’embouteillages. L’amplitude de ces sons, la manière dont ils résonnent dans l’environnement permettent de rendre tangible un monde bien plus vaste que celui montré à l’écran, ce qui a pour conséquence de rapetisser l’espace dans lequel se meuvent les personnages et, ainsi, d’accentuer encore plus leur enclavement. La puissance et l’efficacité de l’atmosphère du film est enfin parachevée par l’absence de musique (à une exception très particulière près) et par la raréfaction radicale des dialogues. Ces dialogues, réduits à leur portion congrue, ne sont d’ailleurs en rien utiles à la compréhension de l’intrigue. Plus contextuel qu’informatifs, ces quelques échanges semblent se fondre dans les ambiances des milieux observés et contribuer ainsi au but de l’auteur qui, de façon générale, cherche à immerger son public dans l’environnement de ses personnages de manière sensorielle. Il est d’ailleurs à noter que l’immersion du public occidental se trouve facilitée par la non-traduction volontaire des quelques répliques du film.

Sentimentalité et finesse psychologique

Mais loin de n’être qu’une diatribe poétique contre la solitude moderne, Days est véritablement pourvu de tendresse ainsi que d’un puissant érotisme. La tendresse, de son côté, est véhiculée par le geste assez truffalien de Tsaï Ming-Liang consistant à avoir recours au même acteur pour ses films : Lee Kang-Sheng (l’auteur a d’ailleurs rendu hommage à Truffaut dans Visage, notamment au travers de l’emploi de Jean-Pierre Léaud). Acteur dont la véritable maladie rare, qui avait déjà été utilisée pour La rivière, est ici employée comme base scénaristique. Le film de l’auteur en devient ainsi le chapitre supplémentaire d’une saga plus vaste qui relate l’évolution de son comédien complice au cours du temps et, ce faisant, en devient touchant. L’érotisme de Days est, quant à lui, amené par la relation se nouant entre les deux personnages du film, lors de leur rencontre durant la phase de massage homoérotique tournant à la relation sexuelle. La tension intrinsèque de cette séquence émane, pour partie, de la structure narrative du film, qui consiste en un montage parallèle du parcours des protagonistes ; ce type de montage permettant de générer l’attente de leur rencontre chez le public. D’autre part, la sensualité du moment qui émane de cette interaction tactile est décuplée du fait que l’un comme l’autre des personnages n’entrent jamais en contacts physiques avec qui que ce soit jusqu’à cette séquence ; l’aspect langoureux de l’instant étant encore accentué par un magnifique travail de la lumière qui en augmente l’aspect charnel. Par ailleurs, le travail chromatique de manière générale, grâce à la variété de tons de couleur employée, dynamise et esthétise l’ensemble des espaces du film, surtout la nuit.

Le rythme de Days est ainsi véritablement pénétrant, et le choix de Tsaï Ming-Liang d’avoir recours à de multiples focales et divers axes de prise de vues contribue à donner à l’œuvre un rythme dynamique à la lenteur atypique, et original, enveloppant et dont il émane une belle respiration. Cette respiration ayant cela de particulier que, tous en étant créée par le biais d’un dispositif de mise en scène très fort et affirmé, elle permet de rendre délicatement évidente l’évolution de la psychologie des personnages et de la délicatesse des sentiments qu’ils nouent l’un pour l’autre. Ainsi, la beauté de l’œuvre, outre son aspect plastique, émane peut-être d’abord de l’espoir qu’elle véhicule : celui d’un humanisme, d’un sentimentalisme et d’une sensibilité émotionnelle toujours possibles, et ce malgré un univers définit par la vitesse, la démesure et l’isolement des individus. Ce message est particulièrement puissant, touchant et critique, dans un monde où l’on a vu, en l’espace de deux décennies, le lien social entre les individus continuer de fondre et de se disloquer à cause, notamment, de l’usage standardiser et massif des nouvelles technologies. C’est donc un réel plaisir que de découvrir ce nouveau Tsaï Ming-Liang et de constater que l’auteur n’a rien perdu de la poésie comme de la rigueur de son œil. Days est un film puissant, mystérieux, énigmatique et, osons le dire, émouvant.

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Durée : 126 mn


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