Dark Horse

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Portrait de geek.

Véritable cas pathologique plongé en milieu (excessivement) ordinaire, voici venir Abe, le « Dark Horse » (comprendre « outsider », hors-course, raté…), mi-Tanguy, mi-Dark Knight : 35 ans, vit toujours chez ses parents, collectionne les jouets, peine à quitter l’enfance et à trouver sa place, humeur souvent sombre, tendance à la paranoïa. Fait de société (Abe est un geek) et personnage emblème d’un cinéaste au positionnement « singulier », le « Dark Horse » est la pièce qui dysfonctionne dans l’engrenage, le fils raté, le frère complexé… Il est également un révélateur, sa pathologie faisant immanquablement apparaître en miroir celle d’une société bourgeoise autosatisfaite, étouffante et aveugle – ce qu’une conclusion à l’ambiguïté prononcée ne manquera pas de venir confirmer.

Sans être particulièrement génial, le film échappe malgré tout à l’autopromotion et à la pose autosuffisante, en faisant justement de son personnage un véhicule à fantasmes de normalisation imprégnés d’esthétique publicitaire. Cela se retrouve tout autant dans la vacuité de ses aspirations que dans ses représentations de la sexualité, qui donneront lieu à d’improbables scènes avec une collègue de travail plus âgée, compatissante et discrète, transformée en quelques images en mangeuse d’hommes.

Premier plan du film, Abe a déjà rencontré Miranda (Selma Blair en trentenaire dépressive, à un mariage). Déjà ils s’ennuient. Il veut l’épouser. Il veut vivre avec elle dans la maison de ses parents (sans les parents, qu’il compte faire déménager en Floride). Collé au désir d’Abe et à ses pulsions, le film avance par à-coups, entre tensions, défoulements et interruptions brutales. L’énergie déployée lors des déplacements en voiture – toutes voiles dehors, la musique à fond – tout comme les élans du personnage en direction de Miranda, se heurtent systématiquement au vide d’un parking et d’un magasin de jouets où rien ne semble jamais pouvoir le satisfaire, à la stupidité d’un vendeur, ainsi qu’à l’absence de réceptivité du corps de la jeune femme en permanence sous l’influence de médicaments. Le récit entraîne ainsi peu à peu le « Dark Horse » (Jordan Gelber, plutôt bon, vu dans la série Boardwalk Empire) dans une spirale cauchemardesque, navigant entre maison, lieu de travail (une entreprise dirigée par son père, où travaille également son cousin), maison de Miranda et magasin de jouets, qui le maintient en vase-clos, tout en s’attachant à rendre progressivement chaque espace inhabitable. Abe tourne en rond, mais en s’enfonçant petit à petit en enfer.

On regrettera que le film se contente d’un développement finalement assez binaire – entre statisme et décharges – ainsi que de la mise en scène pour le moins convenue qui va avec. Le choix d’accompagner un personnage excessif et paranoïaque qui va se retrouver seul contre le reste du monde se traduit ici par la construction d’oppositions au systématisme un peu agaçant. Par ailleurs, l’ambivalence – attraction / répulsion – mise en jeu autour du modèle normatif (mariage, maison, enfants) manque singulièrement de mystère et d’humour. Alors que les questions de la maladie et de la contagion sont introduites, il faut attendre les dernières minutes pour voir le cinéaste entreprendre des développements autour du corps de son personnage, pour envisager des transformations qui se réduiront ici à un symbolisme un peu facile. Cela après n’avoir été que dans le survol et la superficialité. La vision à laquelle il s’en tient est cohérente mais dans le fond assez peu originale. Le premier plan (un assez joli mouvement décrivant un groupe de danseurs un peu déchaînés, venant finalement cadrer Abe et Miranda assis, silencieux et gênés), puis quelques répliques sur la danse, donnent la clé tout de suite, avant que, finalement, presque rien ne change. Pour Abe, la question est d’être dans le rythme ou pas. Il n’y est pas. Il n’y sera pas. Point.
 

Titre original : Dark Horse

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Durée : 84 mn


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