Danièle Huillet et Jean-Marie Straub Volume 2 – Epoque Italienne

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Bien que réputé pour son extrême rigueur et sa dimension élitiste, le cinema des Straub se démarque par sa longévité (27 films de tous formats entre 1962 et 2006, année du décès de Danielle Huillet). Ce coffret, seconde livraison d’une collection de cinq initiée cet automne par les Editions Montparnasse, est l’occasion de se faire, comme tout bon cinéphile, sa propre idée de cette oeuvre belle et radicale .

Coffret 4 DVD avec bonus : Sicilia, version théâtrale (DVD 2 contenant Sicilia, le film) ; Le chemineau (Il viandante) et Le rémouleur (L’arrotino) sont deux séquences de Sicilia remontée en 2001 accompagnant le DVD 4 (Fortini/Cani).
Editions Montparnasse, 55 €, sortie le 4 mars 2008

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le cinema des Straub se mérite, qu’accompagner leur œuvre demande au spectateur un véritable travail d’ascèse et de disponibilité dérangeant toute satisfaction immédiate. Ici, le concept de fiction se voit régulièrement mis à l’épreuve par une profonde destabilisation de tout repère, un jeu quasi permanent de confusion entre certitude de la représentation, du caractère purement artistique du geste et débordement soudain du réel.

Voyez par exemple la troisième séquence de De la nuée à la résistance (1978), exposant une conversation d’Œdipe et de Tirésia tirée (comme toutes celles de la première partie du film et de Ces rencontres avec eux, dernier film en date) du recueil de textes Dialogues avec Leucò (1947), de Cesare Pavese. En même temps que circulent les mots, que s’épanouit in extenso la parole ouvertement littéraire des deux entités, est exposé le paysage italien dans toute sa silencieuse splendeur. Un jeu de connexion et de dissonance entre la rigueur et l’érudition du texte, sa profondeur, et la plénitude muette des décors naturels résume mieux que nulle part tout le génie et la subtilité de l’art straubien.

Ce cinéma, bien que tirant inspiration de l’abstraction récitative, d’une volonté de transparence de la dimension initialement « théâtrale » des séquences (est offerte, en accompagnement du film Sicilia, sa représentation au Théâtre Bartolo de Buti, peu avant le tournage de la version cinéma, en 1998), se veut également sensuel, incarné. A la déclamation doit répondre un appel d’air, un souffle. Au rigoureux positionnement des corps (les textes de Pavese sont mis en scène par le biais d’un dispositif exigeant de placement  géométrique de couples de récitants dans les compartiments d’un paysage),  fait écho la manifestation nonchalante de la nature (présence constante de sonorités aquatiques et venteuses hors-champ). Semblant ne parler que d’éternité, immortels (Ces rencontres avec eux) et vivants se dévoilent pourtant incessament dans leur immédiat inconfort corporel comme dans leur installation apaisée.

Contemporain, ce cinema l’est bien plus que l’on ne le croit : rien de ce qui est exposé ne semble tellement daté, ne souffre de vieillissement. Revoir un film de pourtant trente ans comme Des nuées à la resistance permet au contraire de mesurer sa fascinante modernité, son audace narrative et esthétique finalement supérieure à nombre de vaines tentatives formalistes du cinema de pur divertissement. Combien de cineastes aujourd’hui semblent à ce point maîtres de leurs scènes, ont une telle sensibilité pour l’idée de correspondance des espaces distincts, de concordance des temps éloignés ? Combien peuvent offrir un film tel que Sicilia, sans doute leur véritable chef-d’œuvre, leur proposition la plus accessible, dans laquelle transparaît en un geste unique amour du cinema des origines (éclatant noir et blanc avec jeux de contrastes saisissants, plans muets succédant à une réplique enjouée) et volonté de parler enfin, ici et maintenant, des préoccupations les plus quotidiennes ? Cinéma tellurique, vivifiant et finalement animé d’une vraie jeunesse, empreint d’une folie et d’une ouverture aux pures divagations de l’esprit, à l’essoufflement, au repositionnement.

Ce coffret de quatre DVD est le deuxième d’une collection ouverte en octobre dernier, avec le regroupement des premiers films « allemands » et adaptations d’Arnold Schoenberg du duo. Ont été regroupés ici quatre films réunis par leur situation géographique (les paysages de Buti, l’Italie) et leur ambitieuse volonté de donner vie à des textes aux portées philosophiques et politiques toujours actuelles (Pavese; Elio Vittorini pour Sicilia et Franco Fortini dans Fortini/Cani,1976, film dont la relative opacité peut hélas décourager). Prochains épisodes cet automne, avec notamment les renommés Antigone et Chronique d’Anna Magdalena Bach.


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