Comme un avion

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Un beau film, libre, rafraîchissant, lumineux : un des plus intimes de son auteur, mais peut-être pas le meilleur.

On attendait le septième long métrage de Bruno Podalydès, Comme un avion, avec d’autant plus d’impatience que son précédent, Adieu Berthe – L’enterrement de Mémé (2012), avait laissé le souvenir d’un beau film d’illusionniste sans illusions, qui traînait dans son sillage un entêtant parfum d’enfance, de mélancolie, mais aussi de joie de vivre, qu’on retrouve sur un mode encore plus léger et désarmant dans Comme un avion. C’est dire que l’attente n’a pas été déçue. Reste à cerner pourquoi elle n’a pas non plus été totalement comblée.

Michel (Bruno Podalydès, pour la première fois acteur principal d’un de ses films) est infographiste. C’est aussi et surtout un grand enfant – trait de caractère d’habitude réservé à son frère Denis, ici cantonné à un second rôle. Sans cesse dans les nuages, Michel vit de rêves, mais ne vit pas ses rêves. Par exemple, bien que féru d’aérospatiale, fasciné par Jean Mermoz, gardant toujours à portée de main un exemplaire de Vol de nuit (1931) de Saint-Exupéry, il n’a jamais appris à piloter. Comme si la simple idée de franchir le pas le terrifiait. Ou bien peut-être n’en éprouve-t-il pas le besoin, et ne ressent-il aucune frustration de cet état de fait ? C’est ce que lui suggère sa femme Rachelle (Sandrine Kiberlain, impeccable). Sans qu’on puisse établir avec certitude son degré de sérieux, celle-ci prétend face à son mari que les jeunes tentent le tout pour le tout pour réaliser leurs désirs, ce qui permet de goûter des plaisirs nouveaux, se connaître soi-même ; puis la maturité arrivant, l’intérêt de vivre ses désirs se dilue : on se connait désormais par cœur, on sait déjà ce qu’on va éprouver, alors que gagne-t-on à plonger dans la mêlée ? Ne suffit-il pas de rêver ?

Le spectateur s’amuse de l’ironie d’un tel dialogue. Cette question de passer à l’acte ou pas plane sur le premier quart de Comme un avion, avec cette idée sous-jacente que l’objet du désir – fantasmé, insaisissable, forcément obscur – importe au fond moins que ce qui met en mouvement, donne des ailes. Que peut donc apporter à celui qui s’y risque le fait de concrétiser ses rêves, aussi fantasques ces derniers puissent-ils paraître ? De plus, passer vraiment à l’âge adulte ne consisterait-il pas à oser se confronter à ses rêves plutôt qu’à en faire le deuil pour rentrer dans le rang, comme la plupart des gens ? Voilà peut-être les premières questions qui nous happent dans le film, ce par quoi d’emblée, malgré sa singularité et les idiosyncrasies de son auteur, il dégage plus encore que Adieu Berthe un écho universel.

 

Après l’aérospatiale, Michel a une nouvelle lubie : le kayak. Le fuselage d’une telle embarcation fait penser à un avion, d’où le titre du film. Et ramer est assurément moins difficile et périlleux que voler – mais non moins exaltant aux yeux de Michel. Evidemment, pas question de faire part à ses proches de ce nouveau fantasme. Michel achète donc un kayak en cachette de sa femme, le monte sur le toit de l’immeuble, s’imagine partant à l’aventure. Rachelle découvre son manège. Une autre femme – ou un autre film – ne se serait vraisemblablement pas amusé ni attendri du comportement de Michel : encore un peu, et l’obsession enfantine virait à la pathologie, et le film au maniérisme et l’autisme d’un Jean-Pierre Jeunet (au mieux). Au lieu de quoi, la limpidité de la mise en scène s’accorde au doux délire du rêveur. Face à la grisaille du quotidien, sa passion subite pour le kayak ne peut que susciter la sympathie, la compassion. Ainsi réagit Rachelle, qui aide son mari à monter l’expédition.

Dès lors, le film peut vraiment commencer, et ne quittera plus les abords d’une petite rivière magnifiée par la photographie lumineuse du chef opérateur Claire Mathon. On saluera aussi le beau travail du chef décorateur Guillaume Deviercy. De mémoire, jamais Podalydès, cinéaste plutôt urbain, n’avait exprimé une telle sensibilité face à la nature, filmant avec une sérénité radieuse la paix des cours d’eau, les miroitements du soleil dans les feuillages, le charme champêtre d’une guinguette installée près de la rive. C’est autour de ce lieu bucolique, à l’origine prévu pour être une simple escale, que se jouera l’essentiel du voyage de Michel. En empathie avec ce personnage lunaire, le film se plaît à peindre la drôlerie décalée et l’humanité des habitants rencontrés – et avant tout, des deux personnages féminins aussi émouvants que sensuels campés par Agnès Jaoui et Vimala Pons.

Quelques trouvailles de mise en scène égaient l’aventure, ajoutent à son ludisme. Ainsi de la pléthore des miroirs et écrans striant l’image, des cadres dans le cadre, mais aussi de tous les équipements, appareils hi-tech, objets à l’utilité pratique plus ou moins discutable, minutieusement inventoriés – en particulier les téléphones, dont les fonctions de prise de photo et géolocalisation jouent un rôle non négligeable dans la narration. On s’amuse aussi de voir la réception de chaque texto accompagnée d’un gel de l’image avec voix off lisant le message (Adieu Berthe recourait pour sa part à des intertitres colorés). Tous ces procédés seraient anecdotiques s’ils ne procédaient manifestement d’une contamination sourde du réel par l’esprit de Michel. Non seulement tout est vu par le prisme de son regard, mais au-delà des contingences, les personnages et les situations finissent par se plier un peu trop facilement à ses désirs – au point qu’on en douterait presque de la réalité de ses aventures. Cette incursion en kayak a tout de la parenthèse magique, et Michel a beau être rappelé avec une régularité métronomique à une réalité moins reluisante (les abords de l’hypermarché et son vigile, le sosie psychotique de Pierre Arditi joué par Arditi lui-même…), les pires circonstances s’infléchissent toujours en sa faveur.

 

Pareil à l’eau languide de la rivière, le film fait alors songer à un portrait apaisé, un miroir bienveillant, lisse, voire complaisant, des lubies, névroses, fantasmes de son auteur. Rien de gênant en soi, d’autant que le récit est touchant. Mais ce que Bruno Podalydès approfondit ici en termes de sincérité, singularité, voire inventivité, il le perd parfois en rythme et en intensité Le manque d’adversité réelle – au contraire des œuvres de Woody Allen ou Nanni Moretti, pour prendre d’autres exemples de cinéma autocentré et inventif – pèse sur la dialectique d’ensemble du film. Les péripéties abdiquent peu à peu leur relief dramatique et l’émotion finale en pâtit, un peu moins poignante que dans Adieu Berthe. Bien lointaine apparaît l’époque de Dieu seul me voit (Versailles-Chantiers) (1998), très beau film rempli de doutes, d’énergie fiévreuse, et où manifestement Podalydès se cherchait encore. Désormais qu’il semble s’être trouvé, on dirait que son cinéma a perdu quelque chose, comme une capacité à jouer du contraste entre la bulle enfantine et attendrissante où se love l’auteur, et une réalité plus âpre, une altérité aussi périlleuse que salvatrice, souvent inconfortable, à laquelle les films précédents osaient davantage se confronter.

Malgré cette pente déceptive qu’emprunte Comme un avion, il serait dommage de bouder ce film libre, drôle, léger, lumineux et zen, dont les limites n’amenuisent en rien la sincérité, ni la vibrante tendresse.

Titre original : Comme un avion

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Durée : 105 mn


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