Lui qui, tout au long de l’entretien avec Michel Ciment accompagnant le DVD d’Athènes, retour à l’Acropole – magnifique moyen métrage réalisé en 1983, dans le cadre d’une émission sur les capitales culturelles européennes –, insiste particulièrement sur sa volonté de compresser toutes les temporalités en une seule (soit le passé comme présent et futur), s’avère ainsi n’avoir peut-être jamais cessé de tourner ses anciens films. Tout dans ses mots renvoie très précisément au contexte politique du tournage (sachant que ses trois premiers films sont contemporains de la dictature des colonels ayant gouverné son pays jusqu’en 1974) ; moins au souvenir néanmoins qu’à la problématique interne du plan, sa composition, l’utilisation ou non d’une certaine musique, une certaine tonalité de bleu ou de gris… Angelopoulos confessant par ailleurs dans ce même entretien que son objectif lors de la réalisation d’un film reste de faire du spectateur une forme de « co-auteur », à qui l’on imposerait moins un regard qu’on ne lui accorderait la marge nécessaire à sa circulation propre dans le plan, sa libre saisie d’un motif parmi d’autres de la séquence.
Or, nous le disions plus haut, cette ouverture apparente, cette proximité du cinéaste avec la matière de ses films et son spectateur présumé ne garantit aucunement de distinguer toutes les pistes de ce cinéma, dont la majesté n’a d’égale que son ouverture constante au risque de la perte de vue, d’un presque effacement de ses figures, décors et récits. Car si en matière de pure scénographie, de mise en scène Angelopoulos figure sans nul doute parmi les plus doués de sa génération (qui est celle de Fassbinder, Schroeter, mais aussi Kubrick, tous maîtres dans l’art de l’habillage des images, leur composition, le jeu sur la durée et la possible chute des corps), font encore énigme les raisons profondes de son relatif oubli, tout au moins son absence actuelle de culte. En quoi des chefs-d’œuvre aussi évidents que Jours de 36 ou Les Chasseurs, dont le principe esthétique majeur repose sur une utilisation de l’espace, du décor – souvent – naturel comme scène d’une représentation toujours possible, apportèrent-ils moins à l’histoire du cinéma que Barry Lindon ?
C’est cette conscience du cinéaste – qui fut longtemps critique – de n’avoir pas encore été vraiment « entendu » qui semble donner aujourd’hui à sa parole autant de précision et de densité, rendre son français presque dénué d’accent aussi audible, jusqu’en ses plus infimes nuances. Lorsqu’il se dit plus que fier d’une scène de bal du Voyage des comédiens, insiste – au risque de sembler immodeste – sur le fait qu’il est le premier cinéaste à avoir réfléchi de pareille manière au voisinage des temps, c’est moins une volonté de revanche qu’une forte connaissance de cet art et ses divers courants qui se laisse entendre. Comme si au fond, il n’avait pas attendu qu’on lui dise l’importance de ses films pour en avoir lui-même, à partir de son propre regard critique, la légitime intuition.
C’est bien l’une des forces des coffrets Potemkine – outre la notable qualité de restauration des films eux-mêmes – que de rendre ainsi leur regard à ceux qui demeurent les premiers spectateurs de leurs œuvres, ces grands lucides que sont par définition les authentiques cinéastes.
