Carte blanche au Festival de Locarno

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Le Festival de Locarno faisait étape au Centre Culturel Suisse, avec un florilège de films inédits en provenance d´Argentine, de Roumanie ou du Japon.

Depuis sa création, le festival de Locarno joue la carte révélations et découvertes, apportant un contrepoint salutaire au ramdam médiatique de Cannes ou Venise. Entre ces deux grandes messes, au début du mois d’août, le canton suisse du Tessin accueille chaque année des cinéastes moins reconnus, éternels solitaires ou novices prometteurs. En 2010, la première édition menée par Olivier Père rencontrait un franc succès, avec des films atypiques et percutants, tels Winter Vacation de Li Hongqi, Curling du québécois Denis Côté (en salles le 26 octobre) ou encore Karamay (documentaire fleuve de Xu Xin, toujours en attente d’un courageux distributeur). Le Centre Culturel Suisse présentait cette semaine à Paris un aperçu de la dernière cuvée, avec des œuvres récompensées au palmarès et des « coups de cœur » retenus par les sélectionneurs.

Ce bref panorama permettait d’abord de tâter le pouls des « nouvelles vagues » argentine et roumaine, légèrement en perte de vitesse après une décennie flamboyante. El estudiante (Prix spécial du jury Cinéastes du Présent) marque le passage à la réalisation de Santiago Mitre, coscénariste de Pablo Trapero sur Leonera et Carancho. Fort logiquement, il s’inscrit dans le même sillon, proposant une étude de caractère doublée d’une peinture sociale. Roque, jeune homme sans vocation précise, débarque à l’Université de Buenos Aires, avec son dédale de couloirs et d’intrigues crapuleuses. De fête en rencontre, il se désintéresse des cours pour intégrer les réseaux militants. Son parcours n’est guidé par aucune idéologie, mais plutôt par une envie de reconnaissance, une soif de conquête amoureuse, et l’attrait du pouvoir. Le cinéaste suit cette ascension fulgurante avec une caméra tremblée, collant aux basques de son héros. Plutôt efficace, ce système trouve cependant vite ses limites : El Estudiante agace en simulant un aspect documentaire (séquences prises sur le vif, cadre flottant, brouhaha permanent) alors que son récit se calque sur un modèle américain et s’inspire clairement des séries. Ce faux réalisme vise à donner au film un surcroît de sérieux, un gage d’authenticité. Et dispense Santiago Mitre d’adopter un point de vue : il accompagne ses personnages en bon observateur, mobile et discret. Or il ne suffit pas de capter de longs débats pour réussir un film politique. Abusant des revirements scénaristiques et des répliques balancées à la mitraillette, le réalisateur feint la complexité sans creuser son sujet. Il trahit également une certaine fascination pour ce milieu très masculin : ici les femmes sont de jolis bibelots que Roque collectionne. Froides en apparence, mais douces à l’intérieur, elles échappent au cynisme ambiant. Le duel final oppose d’ailleurs le jeune loup et le doyen, dans un affrontement générationnel aux enjeux peu subtils. Autant de défauts déjà présents dans Carancho.
 

Best intentions (Adrian Sitaru)

Best intentions d’Adrian Sitaru (Prix de la mise en scène) compile de son côté tous les traits de l’école roumaine, avec un zèle presque caricatural : argument minimaliste, plans-séquences, étirement de la durée, antihéros sympathiques et satire de l’administration… Révélé par Picnic et une poignée de courts métrages, le cinéaste s’attache ici à l’évolution d’un trentenaire névrosé, dont la mère vient de subir une alerte médicale. Jour et nuit, il lui rend visite dans un petit hôpital de province. Désirant la transférer dans un établissement plus réputé, il tente de convaincre ses proches – mais tous lui conseillent de rester calme et d’écouter les chirurgiens. Comme dans son récent Colivia (présenté au festival Silhouette), Adrian Sitaru suit un personnage maladroit, qui s’entête à bien faire mais voit son autorité vaciller. Blessé dans son orgueil, il s’enferme dans une paranoïa aigüe, bien rendue par une caméra subjective. Le cinéaste montre un vrai talent pour enregistrer des micro-changements, des situations anecdotiques qui prennent une dimension affective et psychologique. Contrairement à Santiago Mitre, ce réalisme n’est pas décoratif, il sert à débusquer une vérité humaine. De même, le flot de paroles ne transmet pas uniquement des informations, mais plutôt des inflexions et des nuances. Le film souffre quand même de ses longueurs et d’une construction éprouvante, tant la répétition des mêmes scènes refuse la moindre dramatisation. Restent des qualités « made in Roumanie » : justesse du regard, belle direction d’acteurs, mélange de gravité et d’humour, et une douce inquiétude…

Face à ces deux nations en plein renouveau artistique, le Japon semble entrer dans une période creuse. Un avis partagé par Katsuya Tomita, qui se heurte à un système en crise et doit autoproduire ses films. Chauffeur routier la semaine, cinéaste le week-end, il a financé son troisième opus, Saudade, en sollicitant des fonds sur Internet. Le résultat, brouillon mais saisissant, déroule sur près de trois heures le quotidien d’une ville moyenne, Kofu, dans un climat de sinistrose économique. Sur un chantier se retrouvent des ouvriers d’origines diverses, mais tous aussi paumés et démoralisés. Le film brasse les milieux et les thèmes, décrit la scène hip-hop et les rapports tendus entre communautés. Japonais, Brésiliens et Thaïlandais paraissent déracinés, atteints d’un mal profond – cette nostalgie d’un ailleurs impossible évoquée par le titre portugais. Touffu, assez ennuyeux par moments, Saudade ne marque peut-être pas l’avènement d’une relève, mais éclaire le travail opiniâtre d’un franc-tireur. Katsuya Tomita dévoile une facette inédite de son pays et n’hésite pas à ouvrir grand ses plaies.
 

Tahrir (Stefano Savona)
Cette carte blanche réservait enfin une belle place au documentaire. Dans L’Estate di Giacomo (Léopard d’Or Cinéastes du Présent), Alessandro Comodin accompagne un garçon sourd et son amie dans leurs jeux au bord d’un fleuve ou dans les bois. Le cinéaste déploie une mise en scène très douce, chargée de sensualité. Lumière solaire, nature radieuse, chaque plan respire une fraîcheur de vacances. Le film repose aussi beaucoup sur Giacomo, personnage surprenant, tour à tour maladroit, exubérant, tendre ou puéril. Un corps aérien, qui insuffle aux images son rythme et son mouvement. Charmant – sans trop céder à la joliesse – L’Estate di Giacomo pourrait sans doute gagner en concision : il dégage néanmoins un incroyable plaisir de vivre et de filmer.

Le pic de cette sélection reste Tahrir de Stefano Savona, déjà co-auteur de l’excellent Palazzo delle Aquile (Grand Prix du Cinéma du Réel 2011). Pendant la révolution égyptienne, le documentariste s’est rendu tous les jours sur la place centrale du Caire, zone névralgique de la contestation. Sans commentaire – mais pas sans position – il livre une chronique forte de cette période historique, respectant la chronologie des faits, alternant moments de rage et d’enthousiasme. Loin du simple reportage, Stefano Savona prouve une nouvelle fois sa capacité à filmer un combat politique, à prélever dans l’espace des scènes de groupe dynamiques et vivantes. Sa caméra relie sans cesse l’individuel au collectif, circule parmi les manifestants, isole des portraits dans la foule, saisit des conversations animées. Elle décrit cette lutte dans ses aspects les plus concrets (arracher des pavés, porter les blessés, se fabriquer des casques de fortune avec des bouts de cartons) tout en pointant ses enjeux et ses dissensions (les nombreuses discussions sur le rôle des Frères Musulmans ou l’après-Moubarak). Le cinéaste remet surtout au centre la parole du peuple : et ce torrent de colère, qui ne s’épuise jamais, perce l’écran bien au-delà du générique.
 


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