Cannes 2013 – Jour 1 : Contrariétés

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François Ozon rate son « Jeune et jolie », Jia Zhangke livre une chronique désespérée de la Chine contemporaine. Et il pleut, inlassablement.

Premier jour de festival : la Croisette est déjà bondée, et battue par une pluie torrentielle qui ne cesse pas depuis l’arrivée, hier soir. Files d’attente traditionnelles, photographes désespérés par le mauvais temps, et premier rejet, déjà : The Bling Ring, de Sofia Coppola, a attiré une foule trop compacte. Du coup, on rattrape Gatsby le magnifique (Baz Luhrmann), qui donne mal aux yeux et fait tourner la tête : Stéphanie l’a vu hier à Paris, elle en parle ici.

En revanche, on a vu Jeune et jolie, le dernier François Ozon, dont on ne sait pas très bien ce qu’il raconte : la prostitution chez les étudiantes ? Le mal-être adolescent ? Les premiers émois amoureux ? Ce qu’on sait, c’est que le film ne séduit pas, manquant perpétuellement le coche de ce qu’il semble vouloir montrer. On y suit Isabelle, jeune fille de 17 ans (Marine Vacth, mannequin fraîchement comédienne) très belle (« trop belle », lui dira Charlotte Rampling en fin de parcours, dans une séquence de guest assez gênante) qui, parce qu’elle cherche l’expérience, commence à se prostituer simplement parce qu’on le lui a proposé. 300 euros par passe, l’argent est facile mais ce n’est pas le but : le fric, elle l’a en large quantité dans sa famille parisienne – c’est d’ailleurs pour ça que, quand sa mère (Géraldine Pailhas, sous-employée) l’apprend, elle s’étonne : « Ma fille n’a jamais manqué de rien ». La photo est glacée, c’est sans doute voulu, parallèle de l’apparence physique d’Isabelle, qui se fait appeler Léa dans les luxueuses chambres d’hôtel où elle rencontre des hommes qui ont « l’âge de son père ». Le problème principal de Jeune et jolie, c’est que d’Isabelle, on ne comprendra jamais rien, Ozon refusant obstinément d’épouser son point de vue à aucun moment du film. Il place sa jeune actrice dans des situations qu’on pourrait qualifier de courageuses si elles ne criaient pas tant l’envie de créer le malaise. Ici, elle se masturbe frénétiquement sur son lit ; là, elle taille une pipe dans un parking souterrain. L’accumulation de scènes sexuelles, pourtant tout juste esquissées, est plus pénible que gênante, sorte de catalogue du champ des possibles en matière de prostitution.

 

 
 
Sauf qu’Isabelle, elle s’en rend bientôt compte, aime ça. « Aller dans la chambre, découvrir leur visage… Après, je n’avais qu’une envie, recommencer ». C’est la plus belle idée du film, qui s’éloigne du coup d’autres œuvres à thèse comme Elles (Malgoska Szumowska, 2011) pour dire que, peut-être, le fantasme de monnayer son corps est applicable, vivable, que l’existence n’en devient pas forcément un enfer. Sauf qu’Ozon, en parallèle de ce postulat, tente la peinture de l’adolescence : « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans ». Les vers de Rimbaud sont cités explicitement dans le film, surlignant encore un scénario déjà poussif. Isabelle parle mal à sa mère, éconduit tous les garçons qui, de son âge, auraient la mauvaise idée de l’aimer. Seul son petit frère trouve grâce à ses yeux, unique personne à qui elle peut se confier. Mais, à n’aimer personne, on ne l’aime pas non plus, ni elle, ni le milieu dans lequel elle évolue. Jeune et jolie donne la désagréable impression d’être un film de vieux qui voudrait parler des jeunes : une fête dans un appartement parisien (un château, plutôt, en réalité) et M83 résonne à plein tube – c’est bien, c’est dans l’air du temps. Les parents veulent partir au ski ou aller au théâtre, les ados soupirent. Mais des aspirations d’Isabelle et ses amis, on ne croit quasiment rien. Le cinéaste veut les toucher de près, montrer la difficulté de la période qu’ils traversent alors que, clairement, il n’y comprend (plus) rien. Et ce n’est pas les quatre chansons de Françoise Hardy qui ponctuent le film qui viennent le sauver du presque naufrage : la musique, il l’avait bien mieux intégrée dans 8 femmes. (2002). Et à trop vouloir dédramatiser la prostitution (l’intention était louable), on finit par se foutre éperdument d’Isabelle, triste personnage qui, à aucun moment, et en rien, ne semble capable d’éprouver le moindre plaisir.

Entretemps, il s’est arrêté de pleuvoir.

Changement de décor et de milieu social pour le Jia Zhangke, même s’il y est aussi, en partie, question de prostitution. A Touch of Sin fait suite aux très beaux 24 City (2009) et I Wish I Knew (2011), deux films à forte teneur documentaire. Pour celui-ci, sélectionné en Compétition officielle, Jia Zhanghke revient à la fiction, même si son long métrage est à nouveau en prise avec le réel – l’une de ses plus grandes forces. Quatre histoires ici, quatre chroniques de la Chine d’en bas, celle des travailleurs pauvres d’aujourd’hui. Quatre histoires qui n’ont rien à voir ou presque, si ce n’est qu’elles témoignent toutes de la société chinoise actuelle. Un mineur écœuré par la corruption tue ses patrons ; un homme dont le seul plaisir dans la vie est de tirer au pistolet s’échappe ; une femme lâchée par son amant qui n’a pas voulu quitter sa femme se retrouve hôtesse d’un sauna un peu louche ; un jeune homme forcé de fuir l’usine dans laquelle il travaille suite à un accident tient l’accueil dans un bordel pour riches hong-kongais. Les portraits sont loin d’être drôles, seraient même carrément désespérés. Mais Jia Zhangke y donne le pouls de ce qu’entraîne, en Chine, le fait de naître mal. Injustice, trahisons et amours contrariés mènent tous, ici, à la violence, une violence soudaine et déchaînée de laquelle il faudra, plus tard, s’exempter.

 

 
D’un constat social difficile, le réalisateur tire un film d’une grande ampleur et d’une grande dramaturgie, qui, s’il ausculte différents aspects sociétaux d’importance, n’en oublie pas d’être une œuvre de cinéma. À ce titre, la première « partie » du film est la plus maîtrisée, offrant un cinéma plus rythmé qu’à l’accoutumée mêlant thriller social et western moderne. Le reste est à l’avenant, enchaînement de sublimes plans larges et points de focus sur des détails qu’il sait parfaitement donner à voir. Là où I Wish I Knew décrivait Shanghai et ses évolutions constantes depuis la révolution culturelle, A Touch of Sin scrute l’horizon des campagnes chinoises, dans un pays qui s’étend sur tant de kilomètres et de provinces qu’un déménagement de l’une à l’autre fait figure d’exil. Les métropoles sont, ici, tenues à distance, dans des plans très larges qui montrent la modernité seulement au loin, rêve inaccessible qui, quand on y accède, déçoit forcément fatalement. Ce n’est pas la moindre des lignes de force d’un film fort, ample, plombant par instants mais qui confirme que Jia Zhangke est l’un des plus grands observateurs de la Chine d’aujourd’hui.


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