Buñuel après l’âge d’or

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Un film d’animation au graphisme poétique pour révéler à nouveau le génie d’un grand maître du cinéma.

Ce beau film d’animation, réalisé par Salvador Simó, adapté du roman graphique de Fermín Solís, Buñuel dans le labyrinthe des tortues, pour lequel celui-ci réalisera tous les dessins du film, est un petit bijou. En ce moment, la période semble propice pour le cinéma d’animation avec, notamment, trois beaux films présentés à Cannes cette année, Les hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec , J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin et La fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti. Buñuel, après l’âge dor aurait pu y figurer tout aussi bien, d’autant que le Festival mettait à l’honneur cette année Luis Buñuel avec la projection de Los Olvidados en version restaurée. Le travail de Salvador Simó, réalisateur et scénariste du film, et de Fermín Solís constitue un hommage à Luis Buñuel, jeune homme avant qu’il ne devienne le grand maître du cinéma surréaliste que l’on sait. Après avoir réalisé Un chien andalou, Buñuel a poursuivi son travail en 1930 avec Salvador Dali, à Paris, avec l’appui de Charles de Noailles, mais la projection de LAge dOr déclenche un énorme scandale qui laisse le jeune homme désargenté et déprimé, habité par des rêves fous et récurrents dans lesquels le visage du père revient comme un manque d’amour et de compréhension. Le film d’animation dont on vantera encore le style et le graphismes, magnifiques, raconte ce passage de la vie du grand cinéaste un peu comme un conte. A la sortie du célèbre Studio 28 de Montmartre, alors que les gens lui courent après dans la rue pour l’insulter, Buñuel rencontre un couple qui le félicite, puis un homme qui a vraiment existé, Maurice Legendre qui lui remet la thèse qu’il a écrite en 1927, La Jurdes : étude de géographie humaine. Ce travail que Buñuel lit en quelques jours finit par le hanter. Alors qu’il rend visite à son ami, le sculpteur Ramón Acín en Espagne, celui-ci lui promet de l’aider à réaliser le film documentaire qu’il adaptera de la thèse, sur la misère dans cette région la plus pauvre d’Espagne, et peut-être d’Europe, en espérant qu’il pourra aider à faire changer les choses. Mais comme pour tout film, il faut de l’argent, beaucoup d’argent. C’est alors que Ramón Acín gagne au tirage de Noël de la loterie et, du coup, il deviendra le producteur de son ami, en s’avérant être l’homme de courage et de générosité, tel qu’il apparaît dans le film. Le tournage peut alors commencer dans les Hurdes, où Buñuel a loué des chambres modestes dans un couvent, lui le surréaliste anarchiste.

 

 

Ce tournage réunit alors quatre personnages : Buñuel, Acín, Pierre Unik que Buñuel avait connu sur le tournage de LAge dor et Eli Lotar, photographe et cinéaste français, proche du mouvement surréaliste. Commence alors le tournage mouvementé de Terre sans pain pour lequel Buñuel avait semblé pour un temps seulement abandonner le courant surréaliste en se consacrant à un monde abandonné de tous. Il n’en était rien car le film apparaîtra ensuite comme un manifeste contre la société bourgeoise et capitaliste, et surtout comme le modèle du film documentaire. Buñuel y apparaît avec son caractère à la fois tendre et dur, son attachement aux armes, et cette manière désinvolte qu’il montrait pour plier le réel à sa volonté de cinéaste engagé. La beauté terrible et amère des images des Hurdes est parsemée d’images surréalistes telles que l’âne dévoré par les abeilles, rappelant celui d’Un chien andalou, ou encore l’enterrement d’un enfant dans son cercueil blanc flottant sur l’onde comme le berceau de Moïse. Il n’est pas étonnant que de 1933 à 1976 ce film fut interdit en Espagne franquiste pour outrage à l’image du pays. L’équipe du film d’animation, outre le réalisateur et le créateur des dessins, par l’entremise d’Arturo Cardelús, le compositeur de la musique, et Manuel Cristóbal, le producteur, a réussi à redonner vie à un mythe du cinéma mondial, hélas maintenant un peu injustement oublié, en espérant qu’il donnera aux jeunes générations l’envie de découvrir toute son oeuvre foisonnante et provocatrice.

Titre original : Buñuel en el laberinto de las tortugas

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Durée : 80 mn


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