Entretien avec Bruno Dumont

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Entre philo et ciné, transcendance et séduction, rencontre avec un « mystique non croyant », à l’occasion de la sortie d' »Hadewijch ».

Spirituel ? Sacrément ! Provocateur aussi. Avec ce cinquième long métrage, Bruno Dumont nous donne à voir une jeune fille d’aujourd’hui, perdue dans ses rêves d’amour absolu. Un film à la fois plus maladroit et plus clair que les précédents. Plus ouvert, en tout cas. Explications…

A l’origine de ce film, il y a une poétesse flamande et mystique du XIIIe siècle, Hadewijch…

Oui, en fait, à l’origine, je suis parti de la difficulté d’aimer, une chose que j’ai ressentie dans ma vie. Et quand j’ai lu Hadewijch, j’y ai vu une puissance d’aimer incroyable, l’amour absolu ! Ce que l’on cherche tous, il est en elle ! Du coup, pour parler de ce besoin d’aimer de façon éperdue, cela m’intéressait de me servir du théâtre de Dieu…

Du « théâtre de Dieu » ?

Je suis mystique, mais je ne suis pas croyant. Le Dieu des chrétiens, pour moi, c’est un spectre de théâtre, et en cela d’ailleurs il est intéressant. Disons que je crois autant en Dieu qu’en Hamlet ! Tout cela, c’est du théâtre. Après, le problème, c’est la vérité. Le spirituel, vous ne pouvez pas le filmer. La seule façon de filmer l’intérieur, c’est de le filmer de l’extérieur. Mais c’est ça la transcendance au fond : vous voyez une scène, et, en même temps, ce n’est pas elle. Comme au théâtre ou au cinéma : vous êtes dans un lieu de représentation. Au fond, pour moi, il y a vraiment une proximité entre le cinéma et la mystique : d’abord pour leur rapport au réel et aux apparences, et ensuite pour la puissance des sensations qu’ils peuvent engendrer.

Comment avez-vous choisi votre comédienne, Julie Sokolowski, pour le rôle principal ?

Au départ, je suis allé chercher du côté des religieuses. Mais elles étaient dans l’évidence, ce n’était donc pas le bon chemin. Car ce qui m’intéresse, c’est la quête. D’ailleurs, les deux mères supérieures, dans le film, sont athées dans la vie. C’est plus intéressant de diriger des gens comme ça. Parce que si les gens sont athées, aujourd’hui, c’est qu’ils sont modernes, mais, en même temps, ils ont besoin de récupérer le sacré… Julie aussi, d’ailleurs, n’est pas croyante. Elle a composé son rôle d’Hadewijch en puisant dans sa propre histoire, son propre désir d’aimer et d’être aimée. Je l’ai écoutée parler, j’ai correspondu avec elle. Elle m’a parlé de son histoire d’amour, et cela avait du sens.

Pour rester dans la mystique religieuse, elle incarne mais elle ne joue pas ?

L’acteur est incarnation. Julie est naïve, fragile, pleine de charme. D’ailleurs, on a tourné en tentant de respecter la chronologie pour qu’elle puisse monter en puissance. Car prendre quelqu’un d’inconnu, c’est périlleux à la base. Tous les jours, on s’interroge, mais, en même temps, ce côté flippant est nécessaire. Cela étant, tous les comédiens ont une nature. L’artifice du jeu, je n’y crois pas. Julie, elle pleure sincèrement, même si elle joue. Et c’est pour ça qu’elle est bien : elle est très sincère !

La fin de votre film est ouverte : Hadewijch, la jeune fille perdue, semble peut-être avoir trouvé une réponse « terrestre » à sa quête. Est-ce à dire que, vous aussi, vous vous ouvrez ? Notamment à un plus grand public ?

Le personnage d’Hadewijch-Céline, en effet, meurt à Dieu à la fin, mais elle a encore la grâce. Ce qui, pour moi, veut dire qu’à la limite on est tous des dieux ! On a tous une capacité divine, en tout cas, dans notre capacité d’aimer… Mais, de toute façon, tous mes films sont ouverts sur la fin ! Car pour moi, le cinéma, c’est une expérience rétrospective. Et c’est pour cela que le film doit être jugé dans sa totalité. Quant à la notion de public, hé bien… Le public m’intéresse ! Je ne tiens pas du tout à être un cinéaste enfermé dans son coin. Je ne suis pas élitiste. Il faut aller vers le public… Car si on veut le changer, il faut aller vers lui, mais sans le prendre de haut.

Propos recueillis par Ariane Allard

Titre original : Hadewijch

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Durée : 105 mn


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