Première incursion du réalisateur de Kirikou dans l´univers de la 3D, Azur & Asmar est un long métrage étrange pour ne pas dire singulier. Naviguant continuellement dans des paradoxes à la fois formels et narratifs, le réalisateur Michel Ocelot fini malgré tout par construire un imaginaire visuel cohérent mais assez hermétique.
A partir d´une fable qui adopte une position symétrique et égalitaire d´un Occident et d´un Orient symbolisés par les traits de deux jeunes héros, le cinéaste revendique un statu quo de départ qui plombe sa dramaturgie et les enjeux futurs du film. Si son positionnement est légitime, voire nécessaire, afin d´élargir une approche du monde et des rapports entre les individus, Ocelot se limite dans la posture de l´homme bon et juste. C´est le cas d´Asmar qui rejette dans un premier temps Azur, avant de retrouver trop vite le sentiment qu´il a toujours eu envers son frère d´enfance.
Cette partition crée alors une symbolique assez puissante dans l´évocation, mais désincarnée dans sa représentation. Contrairement au Roi et l´Oiseau, l´animation et les graphismes ne semblent jamais correspondrent au ton du film. Cette dichotomie déstructure l´ensemble et engonce le film dans un rythme anti-poétique qui, pour une fable, est dommageable. Le manque de fluidité de l´animation et la rigidité des personnages conduits Azur & Asmar vers une accumulation de tableaux (certains forts réussis au demeurant) qui empêchent toute identification au sujet purement traité (jusqu´à l´attaque des trafiquants d´esclaves).
D´un point de vue technique, l´utilisation de la 3D est vraiment à contre courant. Si Michel Ocelot ne s´en cache pas et refuse de reproduire le côté << réaliste >> qu´offre la 3D, il nous livre une peinture en aplat (visages, vêtements, certains décors) qui ressemble plus à son Prince et Princesse. Usant du travelling pour faire entrer et sortir les personnages, les suivre et planter un décor sans perspective, Ocelot délimite bizarrement l´espace dans un premier plan qui défile horizontalement.
Cette approche lui permet sans doute de rester fidèle à la définition du conte de fée, tout en offrant un film lisible, simple et linéaire. Il en va de même pour l´animation, volontairement étale et correspondant à la rigidité en aplat des personnages. Si leurs mouvements sont bien exécutés, ils sont englués dans un espace clos qui ne favorise pas l´évolution d´une autonomie recherchée. Il faut donc s´habituer à cette représentation et imaginer Ocelot comme un marionnettiste qui manipulerait deux ou trois personnages à la fois. La recherche artistique est évidente, la démarcation aussi, mais la réalisation controversée.
D´un point de vue narratif, le cinéaste concentre ses efforts autour des deux héros. Si le message est clair, il doit être simple et évocateur. Point de politique, de positionnement partisan ou de grille de lecture complexe ; nous sommes dans le conte et il s´agit d´évoquer par des décors merveilleux et des personnages imaginaires (l´oiseau, le lion, la fée des Djinn…), des thèmes concrets et contemporains qui touchent tout le monde. C´est sans aucun doute l´aspect le plus réussi du métrage. L´Orient et l´Occident structurent géographiquement un monde pluriconfessionnel qui nie le choc des cultures pour s´approprier le concept de fraternité. Le metteur en scène ne développe pas l´idée de tolérance (indulgence à l´égard de quelqu´un ou de quelque chose), mais celui d´amour. Relais entre un nord (Azur) et un sud (Asmar), la nourrice est une mère universelle. Nous sentons cette fraternité tout au long du film par le besoin d´aller voir l´autre pour le comprendre et se comprendre. Il faut dépasser les discriminations, souvent illusoires, car produites par nos stéréotypes. Azur se rend finalement compte qu´il a eu tort de fermer les yeux devant ce si beau pays. En acceptant de se dévoiler, il montre la voie du courage et du désir de vivre ensemble.
Si les thèmes évoqués sont forts et actuels, la mise en situation est parfois discutable et les personnages secondaires (Crapoux, la jeune reine) assez peu exploités. En se référent au conte, le réalisateur traite des symboles que sont l´amour et le respect (toutes les scènes non traduites en arabe montrent cette ambiguïté ente réalité et conte en nous rappelant l´histoire de ce grand peuple), mais ne puise pas assez sur l´incroyable potentiel d´une telle histoire.
En regardant le film nous nous demandons parfois où sont la féerie, la magie et la profondeur d´une telle évocation ? L´âme d´un dessin animé réside pour partie dans la justification de choix visuels, d´enjeux dramatiques et des interactivités supposées. Azur & Asmar n´est pas un film raté, loin de là, mais il n´approfondit pas assez la relation entre les deux << frères >> qui sont les représentants des thématiques de Michel Ocelot.
Film d´une rigueur et d´une honnêteté indiscutables, Azur & Asmar manque sans doute de rythme et de frénésie poétique qui réussi si bien à son confrère japonais.