Au-delà des collines

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Évocation austère mais puissante de la Roumanie post-Ceausescu par Cristian Mungiu, palmé en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours ». »

À Cannes, où ses deux interprètes ont cette année remporté le double prix d’interprétation féminine, on n’avait même pas osé se frotter à Au-delà des collines. On le craignait trop long (2h30), trop austère, trop cliniquement roumain. Le nouveau Cristian Mungiu est tout cela et, de fait, s’apprécie certainement beaucoup plus à tête reposée qu’en festival. Là où 4 mois, 3 semaines, 2 jours (2007) plongeait ses deux personnages féminins en plein tumulte du régime Ceausescu, Au-delà des collines se situe après la révolution de 1989, dans la Roumanie d’aujourd’hui, puisque le fait divers dont s’inspire le film s’est produit en 2005. Le scénario, écrit par le cinéaste lui-même, est adapté des « romans non fictionnels » de l’écrivain Tatiana Niculescu Bran, ancienne rédactrice en chef du bureau bucarestois de la BBC. On y suit Alina qui revient d’Allemagne pour y emmener Voichita, qu’on devine avoir été sa compagne. Les deux jeunes femmes ont grandi ensemble à l’orphelinat, Alina est partie tenter sa chance à l’étranger ; Voichita est restée, a trouvé Dieu et est entrée au couvent.

Au-delà des collines
s’ouvre sur des retrouvailles qu’on imagine plus froides qu’Alina ne l’avait prévu. Sur un quai de gare, Voichita remonte à contre-courant du flot de passagers jusqu’à étreindre son amie, elles ne se sont pas vues depuis longtemps. Vite, il faut rentrer au monastère, où mille tâches l’attendent, où elle espère qu’Alina se plaira, le temps de sa visite. Du monastère, ensuite, on ne sortira que très peu, pour les rares visites en ville autorisées et pour un évènement dramatique dont on ne dévoilera rien ici si ce n’est qu’en Roumanie, de nos jours, l’Église croit toujours en la vertu de l’exorcisme. Film sur la religion donc, mais pas film religieux – c’est peu de dire que l’institution en prend pour son grade. Le film de Mungiu est bâti tout entier sur une double incompréhension : celle, d’une part, d’Alina qui ne comprend pas la dévotion de Voichita ; celle, d’autre part, des sœurs et du patriarche, rigoriste prônant l’ouverture qui voit en la rébellion d’Alina le signe incontestable d’une possession. Et d’un quotidien morne, Mungiu tire un récit qui s’emballe.
 
  
 
 
Le jugement est d’abord tenu à distance respectueuse. En de longs plans, souvent fixes, sur la routine de la communauté monacale, Mungiu enregistre dans un premier temps l’ordinaire d’un quotidien loin de nous, a priori peu apte à capter l’attention. Sauf que s’il est ascétique, il déborde aussi de vie : en témoignent les très nombreux plans où l’image semble déborder du cadre, les religieuses emplissant tout l’espace derrière un focus fait sur l’une ou l’autre des deux personnages principaux. C’est parce que l’institution est repliée sur elle-même qu’elle grouille, et Mungiu excelle dans sa peinture quasi naturaliste de grandes tablées, des prières, des menus travaux, dans une collectivité recherchée par Voichita mais qui a tôt fait d’asphyxier Alina. Dans un deuxième temps, c’est la révolte de cette dernière qui constitue le moteur du récit, qui se place dès lors de son côté uniquement, la transformant en victime – l’attaque devient frontale. Cette figure du bouc émissaire était déjà présente dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours ; le cinéaste la prolonge ici en l’offrant en martyre, presque littéralement crucifiée sur l’autel d’une moralité bien-pensante que l’Église ne remettra jamais en cause et que Mungiu semble imputer à un certain état de droit roumain.

On peut regretter que le réalisateur ne pousse plus avant l’illustration des rapports amoureux des deux jeunes femmes, amorcée dans une scène émouvante où une main qui s’avance évoque des retrouvailles sentimentales. Il est possible d’y voir une retenue de la part de l’auteur déjà suffisamment virulent, soucieux de montrer que les exactions de l’Église n’ont pas besoin d’être motivées par une relation pécheresse. Il n’en reste pas moins que Au-delà des collines, s’il n’échappe pas toujours à un formalisme blâfard versant dans l’académisme, témoigne une nouvelle fois du talent de Mungiu pour la direction d’acteurs – tous sont hallucinants – et pour la peinture sans compromis d’une Roumanie archaïque qui n’en finit pas de le désespérer. Ce sont les anachronismes des contrées reculées de son pays qu’il traque sans relâche sur les visages de ses personnages et jusque dans un saisissant dernier plan : derrière le pare-brise enneigé d’une camionnette, un coup d’essuie-glace révèle un paysage toujours aussi triste.

Titre original : Dupa Dealuri

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Durée : 150 mn


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