Venu du théâtre, René Féret lui rend hommage à la fin du film en se payant le culot de faire intervenir Tchékhov sur la scène à la suite d’une représentation de La Mouette. Séquence magnifique – et digne de Woody Allen autre admirateur d’Anton Tchékhov – dans laquelle le grand dramaturge vient expliquer aux acteurs pétrifiés qu’ils ne suivent pas les didascalies et que le meilleur moyen de toucher le spectateur, c’est de rester simple et de ne surtout pas jouer à jouer. Une leçon que René Féret a sans doute appliquée à son cinéma : un cinéma fait de délicatesse, d’harmonie et de petite équipe soudée, presque une famille. Nous l’avions déjà fait remarquer pour son film précédent, au cours d’un entretien paru sur Jeune Cinéma. Le Prochain film (2013) était une réflexion, modeste à l’image du cinéaste, sur le cinéma et Anton Tchékhov 1890 est, à son tout, une réflexion sur la vie, la création et la modestie, à l’image du célèbre Russe. Petit médecin, Anton Tchékhov vit dans sa famille, auprès de sa sœur qu’il vénère (parfaite Lolita Chammah) et de ses frères, aidant ses parents et se sacrifiant pour ses patients et la littérature qui lui rapporte quelques kopeks. Le film commence d’ailleurs symboliquement sur cette ascension vertigineuse vers la réussite en littérature au moment où l’éditeur Souvorine et un écrivain viennent le tirer de l’anonymat. Il obtiendra le prix Pouchkine pour sa nouvelle La Steppe et l’amitié à vie de Léon Tolstoï.
Mais la vie d’Anton est privée d’amour, sinon dans de courtes séquences avec une maîtresse mondaine et dévorante, et, à la mort de son frère (magnifique Robinson Stévenin), il se rendra sur l’île de Sakhaline pour y rencontrer les détenus à la mémoire de ce frère à qui il avait promis de l’y accompagner. C’est là qu’il posera les bases de son chef-d’œuvre d’humanisme et de liberté, L’Île de Sakhaline. Notes de voyage, écrit en 1890 au moment où il commence à présenter les symptômes de la tuberculose, refusant de se soigner. Homme libre, passionné et solitaire, Anton Tchékhov vivra toute sa vie dans le dévouement, le doute et le génie, comme sans le savoir et c’est ce qui le rend sans doute si proche de René Féret qui a réalisé tant de films sans connaître le succès mérité. Il l’avoue lui-même dans le dossier de presse du film, juste après avoir constaté le grand génie de l’écrivain qui déclare dans le film : « "Je pose la plume sur le papier ; quand je la relève, l’histoire est terminée". Une incroyable facilité. Oui, mais, cependant, malgré cette distance qui nous sépare, je me sens proche de lui, plein d’affinités et je vois des équivalences entre sa courte vie et la mienne qui a déjà accumulé pas mal d’années. » C’est tout cela, et encore plus de mystère, qui ressort de ce magnifique film.