Andalucia

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Jusqu’au-boutiste et très vivant, le deuxième film d’Alain Gomis, emporté par le charisme et la belle folie du rare Samir Guesmi, est le lieu d’une soif de mouvement souvent bluffante.

Il y a au départ un recul, une gêne devant Andalucia. Comme le pressentiment, la crainte de ne trouver à cet enchaînement de tranches de vie et de petits faits pris « sur le vif » nulle jonction, nulle coordination… Non que le désordre soit en lui même déplaisant, mais force est de reconnaître que rares sont les tentatives de fragmentation du récit, de pur amoncellement de moments autonomes aboutissant à un tout solide, une fiction aux enjeux bien identifiables. A trop embrasser l’expérimentation, on étreint souvent l’essouflement conceptuel… Souvent, mais pas ici.

Andalucia est bien au-delà de l’expérimentation vaine. D’expérience il est ici question, de chaque côté de la caméra, et dans le sens le plus positif du terme. Mais d’un désir de faire « neuf » ou inédit, de révolutionner, jamais. La force d’Alain Gomis, ce qui rend son film en définitive si riche, si rare, est son pur et simple soucis du présent, de l’immédiat, de la matérialisation d’une situation. Suivant Yacine, le bel anti-héros incarné par l’élancé, le gauche aussi mais passionant Samir Guesmi, vient plus d’une fois à l’esprit le sentiment que l’aventure ne conduira nulle part, mais c’est de cette intuition que résulte justement l’attrait.

Posant en apparence la question de la place de l’Immigré dans un pays qui peut-être ne l’adoptera jamais, le film bifurque pourtant sans cesse, se refuse à toute simplification, ne revendique pour son personnage aucun autre droit que d’avancer, découvrir, se perdre dans sa propre identité. Certes sa quête n’est pas exempte de douleur, la déception est au bout de presque tout chemin, mais au moins, cette quête existe : il y a encore du possible, à défaut de plausible. Tout ne sera donc qu’affaire d’attraction, de rencontres, chaque variation de statut, même infime, sera dans le parcours de Yacine un acquis.

Il y a décidément bien du plaisir à suivre un homme qui marche, ne se retourne pas, fait face à un destin aussi flou qu’inquiétant par sa presque évidence : comment trouver stabilité lorsque l’on se révèle inapte à la moindre satisfaction, lorsque toute proposition de vie est aussi la menace d’une perte d’élan ? Yacine ne saisit manifestement pas la cause précise de son mal-être, son flottement (ses origines? ses rêves déçus ?), mais a au moins cette certitude que rien de ce qu’on lui proposera ne comblera ce vide.

Faisant corps avec son personnage, la fiction est ainsi lancée et n’évolue qu’en fonction de ses impulsions soudaines comme de ses inombrables découragements. Tout est digne d’intérêt, chaque jeu vaut la chandelle, mais rien ne représente un quelconque aboutissement ou une moindre réussite. Moins dépressif qu’ « inadapté », pour reprendre le beau terme de Samir Guesmi lui-même pour définir son personnage, moins curieux que « disponible », Yacine est le réceptacle de toutes les propositions, les divers clins d’oeil du monde extérieur. Il est certes très actif, véloce, tout en énergie et défiance de son propre corps, mais à ce mouvement répond toujours une force supérieure pouvant répondre au nom de « vie ». Bien que se débattant pour esquiver les pièges de la convoitise, la Vie déposera régulièrement sur son chemin l’objet d’une attraction nouvelle.

Que cette attraction ait pour direction une femme (top model ou Madame tout le monde), un emploi de rêve (acteur) ou un « moment » inoubliable à reconstituer (le formidable dribble du roi Pelé), rien pourtant ne sera assez beau pour se poser enfin, aucune projection concrétisée ne préservera d’un appel d’air. C’est de cette forme de déséspérance, cette irrémédiable insatisfaction que naîtra à tout instant un nouvel envol, la promesse régulière d’une patrie, la sienne, et la sienne seulement. Pour beaucoup, elle se nommerait « Andalucia »… qu’en est-il pour lui ?

Titre original : Andalucia

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Durée : 85 mn


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