Mathieu Demy signe un premier film personnel, affranchi du poids de l’héritage familial.
Il ne faut pas plus de cinq minutes à Mathieu Demy pour tuer la mère. La sienne, en l’occurrence, mais pas la vraie, pas Agnès Varda ; celle de Martin, le personnage qu’il joue lui-même dans son premier long-métrage en tant que réalisateur. Martin qui est, ici, le personnage que Mathieu l’acteur interprétait dans le Documenteur de Varda, et dont Mathieu le réalisateur intègre quantité d’extraits dans son Americano. Utilisés comme flashbacks, ces séquences illustrent les souvenirs de Martin de trois années passées dans son enfance en Californie. Comme Mathieu. Ces souvenirs, ce sont ceux qui viennent à Martin quand il retourne à Los Angeles pour régler les affaires afférentes à la mort de sa mère ; ceux, encore, de Mathieu qui retrouve les lieux de son enfance, les lieux du tournage de Documenteur. Vous êtes perdu? C’est un peu l’idée.
Americano ressemble très fort à une autofiction. Mathieu Demy le confesse lui-même en interview : "c’est un peu ça, oui". Sauf que. Si Demy évoque ses souvenirs de gosse et de plateaux de tournage, qu’on le retrouve dans ces images, et que les clins d’oeil à ses cinéastes de parents ne manquent pas, Americano témoigne bien plus d’un désir de cinéma que d’un Oedipe mal géré. C’est d’autant plus flagrant à partir du deuxième tiers du film, quand Martin quitte L.A. sur un coup de tête et passe la frontière mexicaine, direction Tijuana à la recherche d’une vieille connaissance de sa mère, devenue strip-teaseuse dans un bordel comme les Californiens les aiment. Plans larges, tournage en 16mm, couleurs chaudes et prononcées, nuit noire mexicaine : Americano se fait road-trip, film hollywoodien fantasmé à l’orée du western où se croisent Wenders et Cassavetes, où l’exil américain prend forcément la forme d’une fuite de l’autre côté de la frontière californienne.
Là où le film aurait pu s’enfoncer sous le poids de son sujet – deuil, nostalgie et héritage, il y a intérêt à savoir doser – il s’envole au contraire, devenant un pur objet de cinéma. Il y a ce côté artisanal, dans Americano, qui non seulement rend le film immédiatement sympathique, mais donne envie d’y croire. Il n’est pas cheap, loin de là ; mais il ne se prend jamais pour plus que ce qu’il est, n’est bardé d’aucune intention nombriliste. Se contente d’assurer le spectacle, de faire du cinéma pour le cinéma. D’autant que Demy s’entoure d’un casting proprement hallucinant, avec des comédiens porteurs d’une histoire et tous utilisés à contre-emploi. Il y a Chiara Mastroianni, l’autre "fille de", en copine délaissée ; Géraldine Chaplin, fabuleuse en envahissante amie de longue date de la mère disparue ; Jean-Pierre Mocky, qu’on connaît réalisateur, en figure paternelle quasi burlesque. Et Salma Hayek, belle, qu’on n’attendait pas ici, convaincante en mexicaine résignée revenue du rêve hollywoodien.
Le rêve hollwoodien, ici, est écorné mais intact. Il est beaucoup question de frontières : celle qui sépare les Etats-Unis du Mexique, celle entre l’autofiction et la fiction pure, celle entre l’avant et l’après. Americano est un film avec des envies d’ailleurs, où Mathieu Demy fait part d’une crise d’identité elle aussi multiple : son oeuvre est tiraillée entre la France et les Etats-Unis, entre le drame intimiste et le film d’aventures. Ce pourrait être la faiblesse d’un film qui fait parfois croire qu’il ne sait pas sur quel pied danser. Pas grave : l’acteur-cinéaste, comme son personnage, cherche, tâtonne, fait des choix. Il est au début des choses. Il a le temps.
Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.
Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.
En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…