All Good Children

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Deux frères, une rivalité amoureuse, un château dans les bois… Alicia Duffy filme l’enfance douloureuse comme un conte de fée cruel, à l’esthétique surfaite.

Alicia Duffy n’est pas du genre à plaisanter. Sous un soleil trompeur s’esquisse une œuvre au noir, travaillée par des ombres fantastiques. Climat sombre, ambiance pesante : son cinéma évoque une fin d’après-midi l’été, quand la campagne tourne à l’orage. En Dolby SRD, un vent strident courbe les champs de blé, quand le ciel bas et lourd remplit le Scope. Présenté en ouverture de programme, The Most beautiful man in the world annonce la couleur. L’enfance occupe déjà une place centrale dans ce (très) court-métrage, tourné en 2002 : livrée à elle-même, une fillette regarde la télévision, dort avec son chien, fait du vélo, rencontre un homme torse nu. La réalisatrice impose un style évident, mais rebattu : jeu sur les contrastes (intérieur/extérieur, clair/obscur, grand/petit), scénario minimaliste (dialogues réduits à des monosyllabes, silences éloquents), photographie léchée et son trafiqué. Soit une forme intimidante, qui séduit les festivals, et laisse dans son sillage une impression de radicalité. Pourtant, derrière la maîtrise technique, le ton sonne assez creux, sinon prétentieux.

Huit ans plus tard, All Good Children décline la même recette sur 1h20. Dara et Eoin, 11 et 12 ans, viennent de perdre leur mère. Ils quittent leur Irlande natale pour s’installer chez leur tante, dans le Nord de la France. Au détour d’un sentier, Dara rencontre Bella : avec sa crinière rousse et sa peau diaphane, l’adolescente fascine le jeune garçon. Elle se lie d’amitié avec lui, l’entraîne dans son immense demeure, blottie au fond des bois. Quand les parents travaillent, les enfants batifolent, se racontent des histoires, s’amusent à repeindre les murs. Dara nourrit bientôt pour sa voisine un amour fusionnel, réclame une attention exclusive. Mais passé le charme du premier baiser, leur relation s’effrite. Bella rompt le sortilège et s’éloigne. Jaloux, Dara sombre dans un délire morbide et solitaire…
 

Le récit épouse la structure des contes : après un malheur inaugural, le héros découvre un nouvel univers. Dans une forêt symbolique, Bella surgit telle une apparition, créature ambiguë, mi-ange mi-démon. Avec son prénom légendaire, son visage atypique, elle possède une aura fabuleuse. Princesse en robe blanche, elle règne sur un territoire imaginaire et sert de guide aux deux petits orphelins. Alicia Duffy s’appuie trop sur cette esthétique balisée, dont le mystère se dissout rapidement. Faute d’un script plus étoffé, les intentions s’affichent de manière transparente, et le récit s’oriente dans une direction prévisible. La réalisatrice crée une tension artificielle, à coups de non-dits et de gros plans torturés : pourtant le rythme patine, donnant la sensation d’un moyen-métrage étiré. Les dialogues, notamment, souffrent d’une terrible lenteur : « Il est bizarre, non ? – Qui ? – Ton frère… », « Tu ne la cherches pas ? – Qui ?  – La chatte… » Le spectateur possède toujours une longueur d’avance sur les personnages, dont l’évolution ne surprend guère. La voix off de Dara, qui ponctue le film, chausse elle aussi de gros sabots.

Restent de belles images, et un casting judicieux. Dans les rôles principaux, Imogen Jones et Jack Gleeson apportent un peu de vie et de passion à cette histoire glaçante. Les adultes, plutôt effacés, ne convainquent pas autant, et la gravité du film aurait sans doute nécessité plus de contrepoint dans le jeu des comédiens. Le mélange des langues (de l’anglais au français) ne fonctionne pas toujours et met en relief les faiblesses de l’écriture. All Good Children ennuie surtout par son atmosphère chichiteuse : il ne suffit pas de rajouter une couche de drones ou d’insérer de brèves visions d’insectes pour explorer un paysage mental. Le travail d’Alicia Duffy rappelle par bien des aspects celui de Laurent Achard, dont le diptyque La Peur, petit chasseur et Le Dernier des fous suivait également le point de vue maladif d’un garçon tourmenté, baignant dans un entourage dépressif. Tous deux misent sur l’horreur réaliste, mais la noirceur et l’austérité de leurs propositions manquent de finesse et de nuance. De Truffaut à Comencini, d’Erice à Kiarostami, les plus grands cinéastes de l’enfance ont su capter cet équilibre précaire entre violence du cœur et impuissance du corps, intensité des émotions et fragilité du langage. Alicia Duffy ne plonge jamais aussi loin dans l’étude : trop en surface, son tableau reste froid.
 

Titre original : All good children

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Durée : 80 mn


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