Alcool à l´écran : vous prendrez bien un petit verre ?

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Si l´alcool sert le cinéma au point, parfois, d´en être le sujet, il est aussi aisé de constater que son utilisation est parfois abusive. Quelle est donc sa fonction ? Effet comique, caractérisation d´un personnage, d´une ambiance ou fumeux effet de style ? Plutôt s´étrangler que de voir James Bond sans son martini, mais quant aux autres…

Des cols blancs rétrogradés au rang de riens du tout lorsqu’ils se font virer, c’était il y a quelques mois le sujet abordé par le film de John Wells, The Company Men. Si l’on en parle aujourd’hui, ce n’est pas tant pour cette représentation de la dureté de nos vies contemporaines mais bien parce que ces hommes modernes, américains et de classe moyenne, voire supérieure, enquillent à qui mieux-mieux dans ce long métrage. Attention, ils ne sont pas ivres, ni titubants de bout en bout, loin de là, mais ils ont très souvent (trop souvent ?) un verre ou une bouteille d’alcool à la main sans que le scénario ne le justifie. Et une bière pour Kevin Costner alias Jack Dolan le col bleu sur son chantier, et un petit remontant pour Tommy Lee Jones alias le boss Gene McClary une fois chez lui en pleine après-midi… mais pourquoi l’alcool est-il ici tant mis en avant ? « En avant » pour ne pas écrire « en valeur ». Quelle est donc la fonction narrative de l’alcool dans un film qui ne traite, par exemple, ni d’orgie, ni de passage à l’âge adulte et encore moins d’alcoolisme ?

Bien sûr, James Bond ne serait pas James Bond sans son martini. L’agent secret de sa Majesté britannique aurait l’air beaucoup moins distingué s’il sirotait une Kronenbourg à la bouteille. Et "The Dude" (Jeff Bridges) dans le film de Joel et d’Ethan Coen, The Big Lebowski (1997), ne serait devenu ce personnage mythique sans un certain nombre d’attirails dont fait incontestablement partie son verre de « white russian » (russe blanc). Un bon paumé qui se respecte ne va jamais sans sa boisson favorite… Sans cette touche d’alcool, il est indéniable que ces illustres personnages de cinéma perdraient de leur aura, de leur faconde, de leur superbe… ou ne serait-ce leur virilité qu’ils verraient entacher ? Car, à quelle impérieuse nécessité répondent Jack Dolan (K. Costner) et Gene McClary (T. Lee Jones) en consommant de la boisson alcoolisée dans The Company Men ? Cèdent-ils à une habitude ? À un réflexe ? À une coutume ? À une espèce d’asservissement cinématographique qui fait que l’homme – américain ici – délaisse obligatoirement les « soft drinks » à l’écran ? Il semblerait bien que oui lorsque la fonction narrative de la boisson forte ne coule pas de source. On peut alors lui attribuer une fonction mondaine et forcément virile, mais superficielle – du moins pour The Company Men -, puisqu’elle n’est pas essentielle et que ces personnages ne paraissent même pas subir les effets de ces boissons fortes.

En parlant de virilité, d’hommes, de vrais buveurs, Les Tontons flingueurs (1963) refont forcément surface. Dans le film de Georges Lautner, Lino Ventura, Bernard Blier et Jean Lefebvre sont en effet attablés face au « vitriol », comme ils l’appellent. Une boisson qui « date du mexicain, du temps des grandes heures », précise Raoul Volfoni (Bernard Blier) concluant : « seulement, on a du arrêter la fabrication, y a des clients qui devenaient aveugles, alors ça faisait des histoires… » Obligés de consommer pour ne pas perdre la face, les trois compères se regardent en chien de faïence pendant plusieurs longues secondes, jusqu’à ce que Raoul Volfoni gobe le premier ajoutant : « C’est du brutal. » À sa suite, Fernand Naudin (Lino Ventura) cherche davantage à se convaincre lui-même qu’à convaincre ses partenaires : « J’ai connu une polonaise qui en prenait au petit déjeuner. » Après ingurgitation du « vitriol », il soufflera avant de se racler la gorge bruyamment : « faut quand même admettre, c’est plutôt une boisson d’homme. »

Cette fonction mondaine et/ou virile n’a donc rien à voir avec celle que l’alcool occupe lorsqu’il est sujet du film. Par exemple dans Leaving Las Vegas de Mike Figgis, Ben (Nicolas Cage) est un scénariste alcoolique qui, plaqué par sa femme et licencié par son entreprise, se donne quatre semaines à Las Vegas pour boire jusqu’à en mourir. Là le propos est clair, le film illustre sans ambages l’autodestruction via ce suicide alcoolique. Ce long métrage a d’ailleurs été nominé quatre fois aux Oscars en 1996, preuve sûrement que le sujet a bien été traité. Dans un autre genre, l’alcool peut aussi caractériser un personnage au point d’être le sujet de nombreuses scènes, souvent cocasses, sans être le propos dudit film. En témoigne La Soupe aux choux de Jean Girault (1981), dans lequel Le Glaude (Louis de Funès) et La Denrée (Jacques Villeret) se jettent des « ch’tis canons » à la louche alors que le médecin du premier lui a défendu de consommer plus d’un verre par jour. L’alcool sert ici de tremplin au développement de l’intrigue et au portrait du Glaude, comme de la société française de l’époque. Car la consommation d’alcool n’est pas uniquement le symbole de l’ivrognerie explique Le Glaude à La Denrée : « le canon, faut comprendre aussi que c’est pas seulement du pinard, mais que c’est de l’amitié ! » A noter également que la vision et l’utilisation de l’alcool au cinéma a évolué en fonction de son évolution dans la société. Il y a plusieurs dizaines années, il n’était pas décrié comme il peut parfois l’être aujourd’hui, au même titre que le tabac…

Si les exemples précités n’évoquent pas les femmes, c’est bien parce qu’elles ne boivent pas ou peu, en comparaison. Ou pour être exact, seuls certains types de femmes boivent à l’écran. L’alcoolique bien sûr, à l’image de Sue Ellen (Linda Gray) dans la série télévisée Dallas, mais aussi Alice Green (Meg Ryan) dans Pour l’amour d’une femme de Luis Mandoki (1994) ou par chez nous, une autre Alice, alcoolo-dépressive dans Place Vendôme de Nicole Garcia, personnage joué par Catherine Deneuve nominée aux Césars comme meilleure actrice en 1999 pour ce rôle. En plus des femmes identifiées comme alcooliques à l’écran, les femmes à poigne ou les femmes puissantes sont également autorisées à boire au cinéma. Ainsi Faye Dunaway, toute en élégance dans L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison, se délecte de quelques verres au même titre que son partenaire masculin dans ce film de 1969, le taiseux Steve Mac Queen.

Mais le goût des femmes pour la boisson forte, l’habitude de boire ou leur addiction à l’alcool peut sembler bien limité au regard de certaines scènes d’un film comme We want sex equality de Nigel Cole (sorti en salles le 9 mars dernier). Ce long métrage met en scène en 1968 des ouvrières Ford réclamant l’égalité des salaires face à leurs comparses masculins, mais chaque chose en son temps… Si elles ont finalement gain de cause pour les salaires, le chemin vers l’égalité est encore semé d’embûches. Dans We want sex equality, on apprend en effet via l’un des conseillers de la ministre travailliste à l’emploi Barbara Castle (Miranda Richardson) que pour discuter avec des hommes en grève, il faut de l’alcool, mais que faut-il pour discuter avec des femmes en grève dans les années 1970 ? Du « thé » bien sûr ! Un autre exemple vient également confirmer l’idée que l’alcool est décidément une affaire de trempe et donc davantage l’affaire d’un homme : la même ministre reçoit trois de ces fameuses grévistes et leur offre du « sherry ». La plus jeune, Brenda (Andrea Riseborough), préfère à cette boisson très sucrée du whisky, ce qui provoque un large sourire de la ministre, assurément une femme moderne et une réplique des plus choquantes au vu du thème abordé par le film : « ah, une femme comme je les aime ». Sachant que Brenda n’est pas la « leadeuse » du groupe de femmes en grève, on peut finalement se demander ce qui est le plus important pour cette femme ministre : avoir l’air « dure » en consommant du whisky ou l’être réellement ? Car la meneuse de la fronde, Rita O’Grady (Sally Hawkins) boit, elle, du sherry mais a mené la grève de son atelier de bout en bout et incarné le désir d’égalité de milliers de femmes en Angleterre à cette époque.

Difficile donc de déterminer l’importance de l’alcool dans un film, il participe parfois inévitablement à la construction d’un personnage, d’une intrigue, participe d’une ambiance ou contextualise une époque, comme il ne peut aussi servir que de faire valoir.


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