Air Doll

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Le nouveau film du réalisateur japonais Kore-Eda, après les succès de « Still Walking » et « Nobody Knows », traite de la solitude et de la femme dans la société nippone. Gonflé.

Voici l’histoire d’une jeune poupée gonflable, inventée pour calmer les pulsions sexuelles et affectives des hommes, sans voix ni embrouilles. Sauf qu’un jour, lasse de solitude et peut-être des paroles ennuyeuses de son « compagnon » – un quadragénaire serveur dans un fast-food japonais – la jolie sex doll se voit dotée d’un cœur, d’une âme et d’une curiosité. Ses yeux s’ouvrent enfin sur un monde nouveau, un Tokyo calme et intime, avec ses fleurs, ses ruelles et ses petites habitations. Premier emploi dans un vidéoclub, coup de foudre pour un employé, balades philosophiques et instructives dans un Japon paisible, la nouvelle vie de Nozomi ressemble à un conte de fée.


Aimer, c’est douloureux

Inspiré du manga The Pneumatic Figure of a girl, Air Doll mélange les genres pour donner une leçon de morale aux citadins trop solitaires, aux rapports compliqués entre hommes et femmes, voire au manque de vie dans nos sociétés modernes. Véritable Pinocchio au féminin, cette femme plastique devenue femme tout court souffre d’aimer et d’être abandonnée. Créée pour assouvir les désirs masculins, vivante plus que jamais pour aimer, elle devient malheureuse suite aux violentes réalités qui lui sautent au visage.

Plans fixes, nudité, couleurs vives, belles images, musique classique, rien n’est à critiquer quant à l’esthétique du film. L’actrice, copie conforme de la poupée, est émouvante, originale, charismatique. Cependant, les gros plans s’enchaînent en grand nombre, créant une monotonie, un certain ennui. Une mélancolie envahissante, dérangeante, à tel point que l’on se perd dans l’histoire de cette femme-poupée candide et vide. Est-ce dû à une nouvelle manière de filmer de Kore-Eda, bien différente de ces autres films ? Divisé en trois temps, Air Doll s’accélère brutalement à la fin pour amener sur une tragédie, longue, lente, lourde.

A travers la transmission d’une philosophie de vie, aimer et être aimé, Air Doll dénonce l’individualisme omniprésent à Tokyo, initiateur de troubles amoureux et affectifs chez ses habitants. Aussi bien chez les hommes – prêts à acheter des poupées gonflables plutôt que de tenter de nouvelles expériences avec le sexe opposé – que chez les femmes, présentes pour aimer et donner de l’amour, sans retour forcément.

Sois belle et tais-toi

Avec un cadre typique et traditionnel, le film donne avant tout l’image d’une société scandée par les sexes, d’un côté les hommes individualistes et travailleurs, de l’autre les femmes dans le manque, l’obsession, la maternité et la sexualité. A travers plusieurs femmes opposées à la poupée – elle ne peut ni manger, ni boire, ni vieillir, ni enfanter – le réalisateur dresse le portrait d’une jeune fille boulimique, une femme qui tremble à l’idée de prendre une ride, une personne âgée seule et malheureuse ainsi que de courts passages mettant en scène des mères qui bavardent.

Dérangeant. Brutal. Ce côté femme-objet, femme-poupée est peut-être né de l’envie de réaction, de prise de conscience dans la société nippone et ailleurs du rôle de la femme. En témoigne un dialogue dans le film entre le compagnon et sa poupée, blasé de la voir devenue vivante et redoutant qu’elle l’embête, le dérange, alors que sa volonté était de continuer à lui laver le corps, le vagin et l’esprit par un monologue de son quotidien.

Malgré de belles images et une douce poésie, Air Doll touche brutalement des sujets de société qui existent depuis la nuit des temps, bien avant même la création de ces femmes-poupées dont les japonais raffolent. Peut-être qu’avec un homme-poupée, la question aurait été tout autre dans notre esprit. A voir, ou tester…

Titre original : Kûki Ningyô

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Durée : 125 mn


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