A Most Violent Year est avant tout une affaire de morale et de cercles de vertu. La trajectoire d’un homme farouchement résolu à rester dans le droit chemin tandis que tout autour de lui (époque, famille, environnement) semble s’enfoncer dans une criminalité de plus en plus institutionnalisée. Troisième long métrage de J.C. Chandor après Margin Call (2012) et All Is Lost (2013), le film travaille lui aussi un phénomène de crise violente (un crash boursier dans le premier, un naufrage dans le second) au cours de laquelle les personnages principaux doivent faire face à des dilemmes moraux. Est interrogée ici la possibilité ou non de continuer à faire son boulot dans les limites du droit et de la légalité au sein d’un système vicié, où le libre-arbitre et l’ambition viennent régulièrement buter sur les arrangements et les compromissions. Humaniste un brin cynique, le cinéaste s’intéresse particulièrement à la vulnérabilité, davatange porté par les vissicitudes existentielles de son héros que par le grand spectacle promis par un scénario de hijacking. Le titre du film serait presque déceptif, tant la violence, si elle est bien prégnante, est largement plus sous-jacente qu’éclatante, et A Most Violent Year bien plus un thriller atmosphérique qu’un action movie haletant calibré pour la course aux Oscars.
D’un scénario aussi ténu qu’alambiqué, J.C. Chandor tire un univers nébuleux à distance duquel il se tient ingénieusement, donnant suffisamment de clés pour comprendre les enjeux sans jamais offrir la pleine mesure de tous les tenants et aboutissants. La tension, omniprésente, ne vient pas des scènes en elles-mêmes, plutôt peu riches en événements, mais de la manière dans laquelle elles sont tournées : tel un étau se resserrant, des plans longs et larges, très peu coupés, donnent la jauge de l’asphyxie progressive d’Abel. Une séquence, pourtant, confirme que le réalisateur est aussi à l’aise dans l’action, quand Abel, se trouvant à côté de l’attaque d’un de ses camions, poursuit le ravisseur en voiture d’abord, puis à pied, jusqu’à un face-à-face sur le quai d’un métro aussi musclé que sans surenchère. Cette absence de surenchère est peut-être la limite de A Most Violent Year qui, s’empêchant de sacrifier à toute posture mainstream, s’enfonce parfois dans la simple (et élégante) reconstruction d’époque, à grands renforts de lumières froides d’hiver, de plans patinés de fumée de cigarettes, de Cadillac rutilantes qui filent dans la nuit. C’est très beau et excellement maîtrisé, mais peut-être un rien froid, à l’image du blond platine et des ongles parfaitement manucurés de Jessica Chastain, dont le personnage, le plus passionnant du film, finit par s’effacer derrière le décorum et des situations étrangement désincarnés.