À jamais

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Mystifier le vide.

Notes pulsatives

À jamais promet dans un fond noir, espace-temps de l’objectif encore dissimulé sous le cache, une intrigue frémissante à la lumière, car bâtie dans l’obscurité sans images et au gré d’airs stridents de violons inversés. Cette préparation mentale qui agit comme des rideaux fermés avant le spectacle, s’amplifie dans la scène d’ouverture et dans sa mise en abîme malicieuse de l’illusion mimétique propre au cinéma. Elle nous transporte au même point, c’est-à-dire dans le même espace-temps d’avant représentation, face à une scène, et occupant ainsi le même espace que celui des spectateurs que nous sommes. Sur scène, Rey, un réalisateur farouche (Mathieu Amalric) présente son film brièvement. Tandis qu’il en descend et qu’il se dirige au fond de la salle, la caméra le conserve comme cible, et nous fait sortir du rang des spectateurs, autrement dit de nous-mêmes. Devenus complices, nous partageons le même espace que le protagoniste isolé de la foule, immiscés comme lui dans des couloirs étriqués qui ramènent au fond noir initial, habité cette fois par un personnage de femme tenue au centre, sorte de mauvais ange déchu vêtu de noir, et auréolée d’une lumière blanche.

 

Début d’envolée mystique : son et image

À l’instar du film projeté dans la salle annexe, elle aussi est en représentation. Un groupe de spectateurs à l’écart l’observe en train de s’accaparer la lumière en mime, et de ce deuxième choeur dont elle-même se détache, Rey s’isole à nouveau dans un plan qui l’encadre. Les deux êtres flottants détachés tous deux d’un ensemble soit vide, soit meublé par une masse humaine floue, s’attirent comme deux aimants, et dans un découpage rapide de saynètes efficaces (un deuxième regard dans la loge, et une brève discussion dans la cage d’escalier) se retrouvent comme par enchantement hors du lieu initial, galopant comme dans un mythe sur la moto de Rey, fuyant à une vitesse folle les toiles de fond pour demeurer hors du temps.

Rey et Laura déplacés dans un nouvel espace temps, évoluent dans une vaste maison aux airs de manoir, poursuivant leur relation naissante dans des plans joints les uns aux autres par le mouvement (un déplacement de Rey suivi de la fermeture d’une fenêtre dans le même angle) qui suivent la même dynamique du découpage rapide de leur rencontre.

 

 
Les variations sonores de la musique épousent le découpage, comme deux rails parallèles, deux ensemble fonctionnant ensemble et tenus par un fil invisible, le tout projeté dans une action fluide comme la moto de Rey qui fuse sur l’autoroute. Ainsi poussés en hauteur, on attend de ce conte noir un transport entier, une élévation mystique grâce auxquels l’image subliminale de l’avion symbolisant l’oiseau de mauvaise augure, les dialogues rythmés de paroles succinctes et appuyées, ou l’espace menaçant du manoir, permettraient de se rendre.

Mauvais rythme

Le découpage rythmique ralentit son pouls exalté dans le plan séquence figé de la cuisine, qui nous plonge dans une lenteur stagnante. La retombée de l’action jure avec une musique trop présente pulsant le film dans une cadence inadaptée. La musique désaccordée n’accompagne plus le récit, ne l’attend plus dans le serrage du noeud de l’intrigue. Comme trop élaborée par rapport au récit trop lisse, elle devient un orchestre fantôme.

Ce plan-séquence est censé dans sa lenteur, représenter l’ellipse de leur mariage et de moments de vie commune, un défilement brusque dans l’histoire qui pourrait s’accrocher au découpage rapide de l’action, mais qui agit dans un espace temps trop lent et ainsi détaché du rythme effréné du début.

L’accident de Rey serre en dernier le noeud, sans bâtisse ni proximité de leur union, outre des discussions fragiles qui s’inscrivaient dans le style flottant de ce que l’on croyait être les prémices de l’action, mais qui tenaient en elles l’élévation maximale.

 

 
La scène de l’enterrement porte en elle le squelette mal articulé de la fable, cet animal organique qui tenait tout seul en place et qui se met sérieusement à pencher. Des tensions palpables et bizarreries dans la farce douteuse de Laura impassible donnent à l’intrigue de nouveaux moteurs, qui ralentissent cependant en plein dans l’action. Ce schéma narratif fait de montées et de descentes se calque dans chacune des scènes de cette deuxième partie boiteuse.

La mort de Ray installe un creux dans le film jamais rempli. C’est ce soucis du rythme, cette intrigue qui ne parviendra jamais à rattraper son retard qui empêche de le boucher. La mauvaise exploitation des lieux, la redondance des espaces sans mystère dans un manoir pourtant pourvu d’endroits sombres et d’escaliers tortueux, freine d’autant plus le récit et donne le temps de s’imaginer tous les scénarios possibles. Dans une maison isolée, noire d’intérieur rappelant les murs gris de la maison hitchockienne, et pourvue d’un lit défait d’une chambre en hauteur, celui de Psychose ne tarde pas à s’ajouter à la liste, et c’est sans surprise qu’on la voit plonger, tête la première, dans une psychose peut convaincante, où il est question de s’accaparer les objets de l’être aimé, et d’enclencher une mimétique fragile, très attendue non seulement de par cette ré-appropriation du code hitchockien, et d’autant plus qu’il s’agit d’une artiste mime! La mimétique n’émotionne pas, et Amalric disparu creuse un vide tel que sa présence s’impose. Le peu de grains de l’interprétation de Laura exige qu’on la double à la fois par l’image (elle apparait en double) et par le son, et c’est encore le son (d’abord par la musique) qui permet (l’unique) moment de frayeur. Amalric arrive à la rescousse et double Laura.

 

 


Mystifier le vide

Ainsi, pas de tombée dans le mystère ; la métaphysique absente donne un faux thriller pas assez croquant pour y planter ses crocs, une fable pré-machée, une pré-digestion sans labeur, sans idées suggérées. Afin que nous saisissions l’évidence, les dialogues simples échangés qui nous transportaient dans un univers mystique de par leur simplicité, leur banalité soulignée, sont repris par Laura comme pour leur attribuer une tout autre fonction, les rendre autres que ce qu’ils étaient, plus complexes, afin de les mystifier. On mystifie le vide, niant ainsi le style appréciable de la première partie.

Titre original : À Jamais

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Durée : 90 mn


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