A Ghost Story

Article écrit par

« Les jours s’en vont, je demeure »

Un homme et une femme vivent ensemble dans une maison qu’ils vont bientôt quitter. Elle parce qu’elle a l’habitude de déménager, lui parce qu’il veut rester avec elle. Et puis lui meurt dans un accident de voiture. Alors elle va le voir à la morgue et à peine s’est-elle éloignée qu’il se relève, et rentre chez lui, toujours couvert de son suaire. Un vrai fantôme de livre pour enfants que personne ne peut voir ou entendre, pas même sa compagne pour qui la vie continuera. Un fantôme seul. Ce simple drap qui terrifiait dans Halloween (John Carpenter, 1978) ou L’Exorciste 2 (John Boorman, 1978), qui amusait dans Beetlejuice, diffuse ici une tristesse infinie qui subsiste bien après la fin de la séance.

Bas bruit

A ghost story
marche sur un fil. Peu d’actions, encore moins de dialogues, le film tient sur quelque chose de ténu qui finit pourtant par être bouleversant, à mesure qu’émerge, presque insidieusement, un sentiment de vertige que les premières scènes ne laissent pas entrevoir. Des premières scènes en apparence anecdotiques – et peu s’en faut, fastidieuses – si ce n’est que la mise en scène de David Lowery leur apporte une dimension singulière. Le format 4 : 3 aux bords arrondis et la lumière fanée évoquent ces vieux films de famille retrouvés par hasard, dont l’identité des protagonistes aurait été depuis longtemps oubliée. Comme celle du filmeur, qui semble tour à tour familier ou rôdeur mais toujours invisible à ceux qu’il observe. Déjà, le film nous parle depuis un hors-temps, comme un souvenir en passe de s’effacer. Et quand le fantôme revient, le film devient véritablement troublant en nous montrant un mort hanté pour qui le temps s’écoule mais ne passe pas.

Paradoxe temporel

L’utilisation, dans les premiers moments, du temps réel qui pourrait passer pour une afféterie auteurisante (il y a beaucoup à parier que la scène du gâteau en énervera plus d’un), est un moyen de nous faire expérimenter la double temporalité qui sera celle du film : celle du mort et celle des vivants. Assigné à demeure, le spectre assiste, impuissant, à la succession de différents habitants dans ce qui était sa maison au fur et à mesure que le temps défile. Et il défile de plus en plus vite puisqu’à la durée se sont substituées des ellipses de plus en plus importantes, et l’immortalité – si l’on peut dire – du mort devient aussi angoissante que le caractère transitoire de la vie humaine. David Lowery renverse les perspectives, c’est au fantôme de faire son deuil et c’est encore à lui que revient le rôle de gardien de la mémoire. La simplicité formelle de A ghost story fait sa force : il suffit d’une ellipse pour saisir le flot du temps, il suffit qu’un simple drap parle de son amnésie pour sentir la douleur de l’absence. Méditation sur le temps qui passe, sur la perte, sur le deuil…le film est tout cela si l’on parvient à dépasser le côté arty-hipster de la première partie qui peut décourager. Jamais un fantôme ne nous aura autant ému.

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 87 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…