Les quads ont remplacé les chevaux, et les treillis les tuniques bleues : c’est le nouveau western… La ruée vers l’or est son seul dessein…* Guyane : la forêt vierge a envahi les grandes plaines. Sueurs chaudes… Des hommes tatoués, des voix enrouées, on s’y croirait. Lunettes noires, marcels et clopes aux becs : un gage de virilité. Pour ressusciter les grandes aventures – genre délaissé par le cinéma français –, Eric Besnard convoque un lourd bagage cinématographique, en vain.
Autour du casse d’une mine d’or : cinq aventuriers. Quatre hommes ne pensent qu’au pactole : 600 kilos d’or. Une femme vient s’en mêler : Camille. Quelle mouche l’a piquée ? Mari et employés ont été massacrés sur sa concession. Elle n’a plus rien à perdre, un peu comme Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest. Il faut bien ça à une femme pour devenir violente. D’autant plus que l’infecte fonctionnaire reste insensible à ses soucis humains et financiers… Le début d’une longue série d’énormes clichés.
Une femme, même en colère, a forcément de l’empathie pour les autres femmes, encore plus lorsqu’elles sont enceintes. Oups : les mecs ne l’avaient pas vue venir. Le casse se rebiffe. L’hélicoptère atterrit dans la forêt. Eric Besnard dit avoir privilégié les personnages sur l’action brute, le but étant d’observer la déliquescence du groupe au contact de l’or (pur ?). Un thriller psychologique, donc ? Parfait. Voici caractérisée la nana. Voyons maintenant pour les autres…
Clovis Cornillac, alias Virgil : héros et initiateur, il en impose par sa carrure et ses gentils yeux clairs, galant et compréhensif, dans le fond c’est un brave type. Le sniper, Enzo : laconique, agile, capture les mouches en plein vol. Il est l’ami des insectes et tire plus vite que son ombre. Avec son accent rital façon Parrain, quand il dit qu’il va chercher à manger, on a peur qu’il ramène de la viande humaine. Le vieux : il en faut un, un peu comme dans Koh Lanta. Mettons qu’il a vu du pays. Le maillon faible : Bruno Solo, bavard, avide, hystérique, misogyne et antipathique. Le chef des méchants : un géant noir à la voix grave et au rire terrible, à qui il ne manque que la balafre, l’œil de verre et le couteau entre les dents. Il a toutefois une machette : l’honneur est sauf. Le casting est quasi complet, la bataille entre la « black team » et la « white team » peut commencer. Cache-cache dans la forêt, je te tiens, tu me tiens… sous le regard des indigènes perchés dans les arbres…
On a failli oublier : la bonne sauvage, l’indispensable indienne, pure et innocente, sans qui on mourrait tous. Le but du jeu étant de mourir seulement presque tous. Par là où on a péché, de préférence : il y a une justice. Les femmes et les enfants d’abord. Impossible de ne pas déflorer l’intrigue, sa substance tient en deux phrases prononcées par Bruno Solo. Résumons-la : l’or est sacré, c’est l’apanage des dieux / Non ! L’or c’est le vice, taché de sang, la preuve : récupérées sur les cadavres à Auschwitz, les dents en or deviennent des montres à gousset. Pile ou face. Aucun risque de se froisser un neurone.
Tu n’as pas besoin d’être riche, tu as juste besoin de te faire peur.
Côté psychologie, Eric Besnard a raté le coche. Côté scénario aussi. Pourquoi voler cet or ? On ne le saura pas, malgré les questions de Camille à Virgil… Folie autodestructrice des hommes ? Orgueil ? Défi ? Admettons que le postulat soit celui du drame épique et qu’il faille alors entretenir le mystère. Après tout, pas besoin de motif pour être perdu dans la forêt. Le très flippant Aguirre d’Herzog, ou encore la série Lost, en sont la preuve.
A ce moment là, pas besoin non plus des grosses explosions qui pètent à la chaîne, même reflétées dans l’œil d’un crocodile. Des deux profils ensanglantés ruisselant de pluie, les yeux dans les yeux. Pas besoin de ciels étoilés. De la pluie – décidément – de feuilles d’arbres à la mort de Virgil. Des deux papillons de l’espoir qui volettent entre les arbres. D’une illustration aussi littérale de l’avalement par la forêt – les fourmis tiennent ici le rôle de leur vie. Des effets de montage bon marché : du raccord plafond au raccord arbre, en passant par le raccord cigarette. D’une musique toute aussi cheap donnant envie de hurler que s’appelorio Quézac devant l’eau coulant sur les rochers. Des deux mêmes accords de guitare douce pour les deux scènes sentimentales du film : on serait presque indigné de l’amour naissant entre Camille et Virgil, tellement ces notes nous rappellent son défunt mari.
Bref… Honte sur eux. Et sur nous aussi. On rirait presque au suicide d’Enzo, parfaitement synchronisé au premier cri du bébé rédempteur – un peu comme dans Le Fils du désert – accouché par notre vierge Marie indienne… En somme, un film un peu comme plein d’autres, lourdeur et symbolisme fangeux en plus. La pluie n’est pas la clef d’une tragédie réussie, ni même les violons. Les grecs savaient s’en passer… John Ford aussi.
*MC Solaar, Nouveau western.