Du studio de répétition (il existe en vrai, se trouve dans le quartier de Soho), on ne sortira presque jamais, histoire de dire que la danse, pratiquée à ce niveau-là, est un sacerdoce, qu’en dehors d’elle tout est annexe, accessoire. Alan Brown sait montrer ça : les répétitions qu’on prolonge jusque tard dans la nuit au mépris de toute vie sociale, le geste qu’on préfère travailler à l’infini pour éviter d’avoir à parler. C’est un microcosme, un petit groupe presque en autarcie qui s’accomplit dans la maîtrise de son art – les films sur la danse passent systématiquement à côté, à commencer par le récent Le Concours de danse (2012), qui préférait souligner la beauté du sacrifice . 5 danses est à ce titre exemplaire, et a le mérite de s’intéresser à ce qu’il filme. Chaque pas de danse se regarde en entier, comme si l’on était soi-même dans les murs – et c’est très bien filmé. Jonah Bokaer s’est chargé de la chorégraphie, il a notamment été membre de la troupe de Merce Cunningham et travaille régulièrement sur les pièces de Robert Wilson.
Il y a, du coup, un réel plaisir à voir de la postmodern dance à l’écran, cette même danse qui fut initiée par Cunningham justement, Lucinda Childs ou Trisha Brown. Que 5 danses s’éloigne du classique ou du contemporain pur est sa principale force, car ailleurs, le film pêche par son envie de donner plus, par son souci d’avoir une histoire à raconter. Que les comédiens soient d’abord des danseurs n’y est pas pour rien. Les rapports houleux de Chip avec sa mère, le couple vacillant de Cynthia, un début d’histoire d’amour entre les deux garçons sont autant d’anecdotes qui empêchent d’être totalement emporté. Sur le dernier plan, il y a pourtant de belles choses, dans la manière de filmer l’éveil de la sensualité à l’aune de la danse notamment : une main qui se pose trop bas au cours d’un porté, une épaule frôlée un tout petit peu trop longtemps. Ici, et comme le prône la postmodern dance, le geste quotidien est un geste de danse – et inversement. Pas de quoi s’extasier, mais il y a là une vraie compréhension et un vrai intérêt pour la danse ; c’est d’autant plus frustrant que, en ôtant toutes les afféteries propres au cinéma indépendant américain, on tenait là une mise en images assez idéale de ses frémissements.