46ème édition du Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand

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Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand Du 2 au 10 février dernier, s’est tenu à Clermont-Ferrand la 46ème édition du Festival du Court-métrage. En plus des séances spéciales, il se découpe en trois sélections majeures, National, International et Laboratoire. Si la plupart des séances de films français ou internationaux sont décevantes – parfois de façon attendue, […]

Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand

Du 2 au 10 février dernier, s’est tenu à Clermont-Ferrand la 46ème édition du Festival du Court-métrage. En plus des séances spéciales, il se découpe en trois sélections majeures, National, International et Laboratoire. Si la plupart des séances de films français ou internationaux sont décevantes – parfois de façon attendue, films politisés mais ultra-consensuels en réponses à des exigences mercantiles, parfois moins, lorsque certains choix techniques laissent carrément à désirer, photographies grises ou trop contrastées, musiques dramatisantes hyper présentes et j’en passe – mieux vaut se tourner vers les films plus expérimentaux de la section labo, moins motivés par un désir de consensus.

La plupart d’entre eux s’interrogent sur les rapports entre mémoire et flux d’informations. Dans 512×512 d’Arthur Chopin, un narrateur invisible cherche à imaginer le visage de Francine Descartes, la fille de René Descartes décédée à l’âge de cinq ans. Des légendes circulent autour de ce décès, notamment la fabrication d’un automate par le mathématicien pour garder sa fille près de lui. L’intelligence artificielle génère par milliers des visages de petites filles, dont l’un pourrait être celui de Francine. Le point de départ de cette enquête est avant tout prétexte à une exploration de l’intelligence artificielle et de ses abysses. Il arrive que la première version du logiciel utilisée génère des images pédopornographiques, mettant ainsi un stop à cette première partie de l’enquête. Le film devient alors une exploration des modes de représentations du corps et de la nudité, à la lumière de l’IA, a priori gouffre infini sur toute la mémoire du monde. Des hommes nus, tous blancs et sans sexe, le noir et le pénis n’existent pas. Des images pornographiques. Lorsque le logiciel commence à censurer le sexe, la seule nudité possible devient celle des corps difformes, évoquant les victimes de la Shoah. C’est là la question terrifiante posée par le film : à l’heure de l’eugénisme numérique, les représentations du corps et de la nudité, extra-occidentales, joyeuses ou esthétiques, sont-elles vouées à la disparition ? La grande réussite quasi horrifique du film est de faire porter ces questionnements et ces images par une voix-off désincarnée, celle d’un jeune homme désabusé devant son ordinateur, déjà englouti par un flot d’images produit paradoxalement sans intelligence historique.

L’autre film de la sélection qui m’a marqué sur la question du flux virtuel est A Kind of Testament de Stephen Vuillemin. Dans ce film d’animation, une jeune femme découvre l’existence d’un site Internet à son nom. Une vingtaine de fichiers vidéos sont stockés. Il s’agit de petits films d’animation, qui reproduisent en dessin des photos que la jeune femme a posté sur sa page Facebook et les prolongent de manière fictionnelle. Elle découvre que l’auteure de ces vidéos est une jeune femme malade, qui raconte ses angoisses à travers le dessin du corps d’une autre. Au fur et à mesure du film, la jeune femme visionne des vidéos de plus en plus longues. L’obsession de la vidéaste pour la jeune femme, comme un abysse en constante expansion – elle réalise ces films d’animation depuis dix ans – semble travailler à nouveau une inquiétude vis-à-vis des zones d’ombre sans fond d’Internet. Pourtant, c’est dans une autre zone que nous emmène le film à travers le dernier dessin animé, le plus long. On y voit la jeune femme confrontée à une série de dilemme, l’un d’une importance capitale, et les autres beaucoup plus banals. Un mal de tête la ronge, et elle découvre derrière son crâne le visage d’une très vieille femme, venue exprimer ses regrets passés. En mêlant quiproquo grotesque – les regrets concernent les choix banals – et morbidité graphique, le film dessine peu à peu une autre angoisse, celle de la mort, du corps qui se décompose, et la virtualité comme porte de sortie mémorielle.

On pourrait également évoquer ALIEN0089 de Valeria Hofmann, et sa terreur devant la marée de fantômes anonymes qui harcèlent une jeune gameuse sur un jeu vidéo en ligne, ou encore Incident, du vétéran de la compétition Bill Morrisson, et son montage chaotique fait à partir d’images de caméras accrochées aux corps des policiers, lors de la mort d’un jeune homme noir et innocent à Chicago en 2018, tué par plusieurs balles policières.

Au Maroc, un homme doit se rendre pendant plusieurs jours dans le désert, pour aller réparer un puit qui n’irrigue plus les récoltes. Dans le cadre du festival, le premier geste de Borj El Mechkouk de Driss Aroussi, court-métrage à la forme étonnamment plutôt classique pour sa sélection – il est certes bien trop contemplatif pour les autres compétitions – est de nous faire expérimenter, nous, spectateurs occidentaux parfaitement en rythme avec la vitesse du monde moderne, un rapport à l’écoulement du temps qui nous ait devenu pratiquement inconnu. L’observation attentive de gestes extrêmement simples – conduire une charrette tirée par un âne, se nourrir dans le désert, creuser dans le sable – double son caractère naturaliste d’un mystère qui effleure le fantastique. L’étrangeté d’une ombre projetée à l’envers sur un puit, celle de la charrette qui repart de l’autre côté du désert. Cette dimension magique n’est pas un ajout maladroit d’un réalisateur qui n’aurait pas confiance en la force intrinsèque de ses images documentaires. La mouvance quasi sensuelle de l’ombre vient plutôt marquer le mystère fondamental du monde, le désert, le sable à perte de vue, les puits dressés comme des temples d’un temps oublié, l’esprit qui divague sous la seule lumière des étoiles.

Parmi la compétition française, deux films ont retenu mon attention. Dans J’ai vu le visage du diable de Julia Kowalski, des longs zooms percent la forêt la nuit sur fond de rock aux airs satanistes : dès l’introduction, la cinéaste subverti le puritanisme a priori de son sujet. En Pologne, une jeune fille contacte un prêtre pour l’exorciser. Très pieuse, elle s’est découvert des désirs érotiques pour d’autres femmes, et en a déduit alors qu’elle est possédée par Satan. Malgré les joyeuses scènes de danse endiablée avec une jeune fille que le personnage rencontre dans le bus, le film n’est pas un pur détournement punk des modes de contrôles de la religion catholique. Très opaque, il reste articulé autour de la foi du personnage. Ainsi, dans la géniale scène d’exorcisme, dans laquelle elle hurle des insanités contre Dieu et le Christ, on ne sait pas si Satan parle à travers elle, ou si elle vient jouir de la situation en profitant d’un espace où son corps peut donner libre cours à ses pulsions anti-cléricales. Quand elle explique au prêtre les raisons qui la poussent à croire qu’elle est possédée, elle dit régulièrement voir un homme qui semble la regarder. La récurrence de la présence de travailleurs sur un chantier, saisis par des inquiétants et lents panoramiques, ainsi que le visage souriant d’un homme dans le reflet du bus, maintiennent cette ambivalence entre réalité pragmatique et horreur religieuse. L’émancipation du personnage passe alors non pas simplement par une subversion ironique punk-pop des codes puritains, mais par l’embrassement du cauchemar du film, un ciré jaune qui traverse avec la fermeté la forêt des contes cruels de la jeunesse. Le film est disponible gratuitement sur le site de France TV.

There is no friend’s house d’Abbas Taheri, vu dans la même séance, suit deux amies dans un lycée pour fille en Iran. L’une est la fille d’un policier, l’autre d’un réalisateur contestataire sorti de prison. La première amène secrètement une flasque de whisky, qu’elles boivent à deux pour s’amuser, avant de se faire attraper. Dans ce compte moral dont le titre est repris de Où est la maison de mon ami de Kiarostami, la violence d’état est diluée, progressive. La joyeuseté ambiante du début du film contraste avec certaines représentations attendues, vue d’en d’autres films du festival, dans lesquels la violence est omniprésente, quasi infernale. Ici, la gravité monte petit à petit, quand la présence de la bouteille commence à s’ébruiter à l’extérieur de l’école. Les grands thèmes du film – le puritanisme, la dictature, mais aussi l’amitié – sont subtilement dilués dans ce que Deleuze appelle une « petite forme », « l’action qui dévoile la situation, un morceau ou un aspect de la situation, lequel déclenche une nouvelle action » (L’image-mouvement, p.220). Pas de grande révolte consciente, mais une bêtise d’adolescentes en quête de sensations. Des lignes tracées vers des échelles supérieures, la direction du lycée, la police, l’État. Pourtant, malgré ces appels d’air vers une hauteur politique de plus en plus globalisante, c’est à une échelle aussi petite qu’il a commencé que le film se termine. Vue sur la cour, les deux jeunes filles, et la grande tristesse des amitiés brisées, incomprise par le monde des adultes.

Titre original : 46ème édition du Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand

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