Bonne surprise : le film de Richard Fleischer rend honneur – ou à peu près – aux promesses suscitées par une adaptation si ambitieuse. Les effets spéciaux s’avèrent plutôt réussis, malgré des transparences de temps en temps flagrantes. Un beau travail a été réalisé sur le design du Nautilus, différent de celui du roman, moins proche du cigare phallique imaginé par Jules Verne que d’une espèce de poisson géant, s’adressant de manière plus directe à l’imaginaire du spectateur. Beaucoup de scènes demeurent mémorables aujourd’hui encore ; la lutte contre le poulpe géant, en particulier, constitue une séquence d’anthologie. Certes, les premières minutes nous rappellent que nous sommes chez Walt Disney. L’apparition de Ned Land, le harponneur campé avec verve par Kirk Douglas, s’accompagne d’effets cartoonesques, surlignés par une bande musicale qui a plutôt mal vieilli dans ces moments-là. La suite du film ne démentira pas totalement cette première impression en s’appuyant en partie sur le duo comique constitué par Kirk Douglas et Peter Lorre – bien loin, dans son rôle d’assistant du professeur Aronnax, des rôles ambigus qu’il interpréta chez Hitchcock (L’Homme qui en savait trop, 1934) et surtout chez Fritz Lang (M Le maudit, 1931). Pour peaufiner cette touche burlesque, une loutre des mers joliment prénommée Esmeralda se joindra aux deux compères.
L’autre duo au cœur du récit s’oppose au précédent par son esprit de sérieux, équilibrant ainsi le film dramatiquement et psychologiquement. Face à un professeur Aronnax un peu fade – mais il l’était déjà chez Jules Verne, en sa qualité de simple narrateur témoin -, James Mason campe un capitaine Nemo poignant, un peu trop shakespearien sans doute, mais savoureux de par cette dose d’ironie séductrice que l’acteur britannique sait distiller dans tous ses rôles, y compris lorsqu’il jouera dans une autre adaptation célèbre de Jules Verne, Voyage au centre de la Terre (1959) de Henry Levin. Nemo prône la haine de l’humanité, ne veut vivre qu’avec des produits de l’océan, depuis ses cigares jusqu’aux moindres composantes de son alimentation, et cette misanthropie cache évidemment un traumatisme personnel. Son ressentiment s’exerce en particulier à l’encontre d’une nation qui a torturé sa femme et son enfant, et contre laquelle il se venge en sabordant des navires marchands et des frégates militaires. Le Nautilus, instrument de découvertes scientifiques passionnantes, outil d’exploration exceptionnel, apparaît donc également comme une arme de guerre. Les allusions à l’énergie atomique maîtrisée par le capitaine Nemo – bien sûr absentes du roman de Jules Verne – s’avèrent en phase avec les préoccupations des années 1950 : cette infidélité flagrante à la lettre du roman n’est donc pas forcément malvenue. En fin de compte, restant dans le cadre d’une production Disney, le discours misanthrope de Nemo se nuance d’envolées prophétiques, d’où la notion d’espoir n’est pas absente, mais au contraire soulignée lourdement. Dommage que de ce fait, la coda du film s’avère non seulement impressionnante mais édifiante et hautement consensuelle. Pour autant, le message pacifiste, voire écolo, reste parfaitement recevable aujourd’hui. Une bonne raison pour le public actuel, quel que soit son âge, de ne pas bouder ce produit hollywoodien intelligent et divertissant, à défaut d’être réellement un grand film, audacieux comme son modèle littéraire.