« De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou. » Michel Foucault
C’est un drôle d’oiseau qui se trouve volontairement parachuté au sein d’un hôpital psychiatrique, quelque part aux Etats-Unis, dans les années 60. Randle McMurphy (Jack Nicholson) a l’idée retorse de se faire interner afin d’échapper à la prison. Ce subterfuge réalisé – sans que le directeur de l’établissement en soit dupe – va conduire McMurphy à (dés)orienter le fonctionnement de l’hôpital, aux normes particulièrement rigides, adossées à des pratiques médicales incluant les camisoles de force, les électrochocs, la lobotomie, et discipliné par une infirmière inflexible, Miss Ratched (Louise Fletcher). La trajectoire de ce personnage est le moteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou, adapté du roman éponyme de Ken Kesey (1962), et ce qui contribue à faire conserver au film une force de résistance et de subversion aujourd’hui encore assez vivace, tandis que sa mise en scène formelle se trouve légèrement vieillie. Nous sommes en 1975 , à cette période de l’histoire, les cinéastes américains du Nouvel Hollywood sont passés maîtres dans l’art de livrer des oeuvres amères et paranoïaques (Taxi Driver – Martin Scorsese, 1976 ; Nashville – Robert Altman, 1975,…). Le fond tragique de Vol au-dessus d’un nid de coucou s’inscrit dans cette cinématographie exsangue et désenchantée.
Du normal et du pathologique
Affolant la boussole aux aiguilles arrêtées qui rythme les réunions thérapeutiques organisées chaque jour à la même heure par Miss Ratched, McMurphy arrive comme un chien dans un jeu de quilles, réveillant ses compagnons d’asile amorphes, vêtu d’un blouson sombre et d’un bonnet noir dans un environnement d’un blanc clinique. Il est l’énergie du lieu, le bouleversement de ses normes (lancé avec l’idée de se faire passer pour « fou » afin d’éviter la prison), fenêtre d’air dans un établissement clôt, grillagé, dont on peine à distinguer d’un lieu de pénitence vu de l’extérieur. L’énergie et l’œil malin de Jack Nicholson sont une antithèse permanente aux regards baissés, d’êtres mal dans leur peau, de ces compagnons d’asile. Un contraste de mise en scène a lieu entre l’espace confiné, aux chromes jaunis et ternes, dans lequel Milos Forman filme, et cet être humain qui bouge, se répand, diffuse son élan joueur. Car c’est d’abord une aire de jeu, de vacances que semble être l’hôpital aux yeux de McMurphy, trop content d’échapper à la prison. A lui de demander un vote pour pouvoir suivre un match de football, de revigorer les parties de cartes, de faire une virée interdite hors de l’hôpital sur un bateau avec ses nouveaux compagnons. McMurphy survient comme un être « normalement » tourné vers la vie et confrontant l’environnement pathologique, d’enfermement, et entretenu comme tel par le personnel de l’hôpital, en premier lieu Miss Ratched, aussi raide et froide que McMurphy est mobile et entraînant. Jusqu’aux deux tiers du film, c’est une atmosphère singulière de mal être et de fête, de légèreté et de lourdeur, qui se répand dans l’établissement : les gestuelles, difformités comportementales exagérées d’acteurs interprétant les internés viennent se heurter au jeu magistral de Jack Nicholson et de quelques acteurs prometteurs des années 80 : Danny de Vito (qui interprète Martini), Brad Dourif (Billy) et Will Sampson (Chief Bromden).
Dupé tragiquement à son propre jeu