À la manière de Raoul Ruiz dans Klimt (2006), Andrés Wood met en scène Violeta avec une liberté étonnante voire déconcertante. Déconstruction du montage, omniprésence de la musique, filtrage des couleurs, protagonistes souvent filmés face caméra, la logique de Violeta semble a priori chaotique. Mais ce côté arty déstructuré n’est pas vain et révèle mieux encore la complexité de l’amie de Pablo Neruda, qui hante ici chaque image. Dans un ballet incessant mélangeant pêle-mêle instants fugaces du passé, du présent et même du futur – limbes parsemées de feuilles mortes sur lesquelles Violeta poursuit indéfiniment sa route -, Andrés Wood nous projette frontalement dans l’univers de l’artiste : de son enfance auprès d’un père pauvre et alcoolique à la création d’un centre culturel chilien, en passant par sa tournée avec sa sœur musicienne, sa carrière solo en Europe de l’Est, la mort soudaine de son plus jeune enfant ou encore sa rencontre avec Gilbert Favre.
Comme ne cesse de le souligner Andrés Wood tout, le chemin emprunté par Violeta n’est pas rectiligne, un peu à la manière de la trajectoire de vol d’un oiseau. Tandis qu’il arpente des versants abrupts aux abords de la cordillère des Andes, Victor, à bout de force, demande à sa mère Violeta où elle l’emmène et ce qu’ils cherchent. Celle-ci lui répond alors, l’air grave, qu’il lui faut pour cela marcher afin de le découvrir. Pour l’artiste, peu importe la direction que l’on emprunte ou le but pourvu qu’on ne fasse aucune concession pour l’atteindre. Ainsi, la simple volonté et la croyance en l’être humain suffiraient à elles-seules à faire advenir toute chose. C’est dans cette optique étrange que Violeta se retrouve aux confins du Chili récoltant auprès des habitants les derniers vestiges de la culture traditionnelle de son pays, qu’elle ne cessera par la suite de partager partout où elle ira. Cette philosophie de la démesure souvent jusqu’au-boutiste – que le réalisateur met en scène au travers de superbes plans larges sur les reliefs infinis du Chili – est pour elle comme un engagement auquel il est inconcevable de se soustraire.
Bien au-delà des petites batailles politiques – proche des communistes et partisane de la lutte des classes, Violeta moqua souvent leur inaction -, son engagement artistique est comme intrinsèque et donc indiscutable. Dans les sous-sols des bars parisiens où elle se produit avec son compagnon Gilbert Favre, elle n’hésite pas à railler l’inattention du public. À la porte du Louvre, elle n’hésite pas non plus à toquer pour présenter ses œuvres alors même qu’elle ne sait pas dessiner. Et alors qu’elle repart au Chili pour monter un chapiteau abritant un centre culturel au pied de la cordillère des Andes, on ne peut s’empêcher de penser à Fitzcarraldo (Werner Herzog, 1982) et son projet d’opéra en pleine jungle amazonienne. Dans Après Mai, Olivier Assayas se demande s’il est possible de concilier activisme politique et carrière artistique. La réponse est oui selon Andrés Wood, qui montre ici comment la mère de la folk latino-américaine est parvenue à en faire la synthèse.
Si le réalisateur réussit ici à éviter le piège de l’hagiographie, la narration qu’il dessine – avec ses va-et-vient habiles entre passé et présent s’assemblant comme les couleurs d’une toile – n’échappe pas à la redondance. Et pourtant, lorsque le regard se dérobe, l’oreille reste alerte, portée par la voix sublime de Francisca Gavilán.