Sélectionné au Festival de Sundance et à celui de Berlin, Upstream color est le deuxième film de Shane Carruth après Primer (2004). Voici un film pour lequel le réalisateur est à la fois acteur, musicien, monteur, et on en oublie certainement. Un film déroutant qui commence comme un film de science-fiction et finit comme un film métaphysique, quasiment incompréhensible, mais envoûtant et qu’il est conseillé, même par son auteur, de voir plusieurs fois. Dans le terreau d’une certaine plante se trouve une larve aux étranges vertus psychotropes. Introduite dans l’organisme humain, elle permet de manipuler l’hôte inconscient de ce qu’il lui arrive. Une nuit, Kris est victime d’un mystérieux assaillant qui lui injecte un de ces vers dans le corps. Elle se retrouve peu à peu dépossédée de son travail, de son argent et même de sa vie. Peu après, elle rencontre Jeff qui semble avoir vécu la même expérience. Ensemble, ils vont essayer de rassembler leurs souvenir pour tenter de comprendre ce qui leur est arrivé. Voici pour le premier tiers du film. C’est d’ailleurs la première fois qu’on peut pitcher tranquillement et sans scrupule un film, car finalement cette histoire n’a que peu d’importance et on la comprendra, ou non, dans les deux tiers suivants.

Un dédale sans fil d’Ariane
Le réalisateur semble, quant à lui, réaliser alors qu’il faut perdre le spectateur dans un dédale d’images et de souvenirs, et tout son film est construit par des plans très brefs qui sont, pour la plupart, des énigmes qui ne vont pas sans évoquer Terrence Malick ou Stanley Kubrick. Il se définit plus par ce qu’il n’est pas que par ce qu’il est. Upstream color revient sans cesse sur des images frappantes ou en invente d’autres, souvent très belles esthétiquement mais qui sont autant de miroirs qui s’ouvrent sur des abîmes de mystère, comme dans Alice au pays des merveilles. Nul doute que ce film agacera les cartésiens, les réalistes et les amateurs de science-fiction tant ils seront déçus par l’absence de scénario, d’intrigue et de fil d’Ariane. Autant le dire tout de suite, on est perdu dans ce labyrinthe qui ne cesse de nous donner des indications ou des pistes qui ne serviront finalement qu’à mieux nous perdre à nouveau, comme les deux personnages du film, dépossédés de leur vie par cette larve psychédélique mystérieuse mais que personne apparemment n’aimerait bien sûr ingérer. De plus, le film fait sans cesse référence au livre d’Henry David Thoreau, Walden (1854), qui raconte la vie que Thoreau a passée dans une cabane pendant deux ans, deux mois et deux jours, dans la forêt appartenant à son ami et mentor Ralph Waldo Emerson, jouxtant l’étang de Walden (Walden Pond), non loin de ses amis et de sa famille qui résidaient à Concord, dans le Massachusetts.

De belles images comme des flashs psychédéliques
Le mystère reste entier, mais on peut regarder ce film en étant certain de recevoir des images d’une beauté intense, même si elles n’évoquent rien de prime abord. On peut être certain aussi de ne pas ressortir indemne de ces quelque 90 minutes de voyage intérieur dont personne n’a la clé, un voyage en apnée, dans un film où, comme le confie le réalisateur lui-même, « on a des revolvers, des porcs, des vers et du sang, un tas de trucs. » En effet, sur le plan des surprises du scénario, il y a bien des moyens de le vendre à un certain public, mais on le répète, il ne faut surtout pas s’attendre à de la SF ou à un thriller mais à un film expérimental comme on en était friand à la belle époque d’Andy Warhol et de l’underground, l’humour et la dérision en moins.