À l’occasion de l’exposition Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hultén (du 20 juin 2025 au 4 janvier 2026) se tenant au Grand Palais de Paris, Un rêve plus long que la nuit, initialement sorti en 1976, fait son retour en salles avec une restauration 4K.
Niki mania
Depuis quelque temps, l’œuvre foisonnante de Niki de Saint Phalle bénéficie d’un véritable regain d’intérêt. Le biopic Niki (2024) a ravivé l’attention du grand public, tandis que cette année d’importantes institutions françaises — le Grand Palais, le Caumont-Centre d’art et le Musée du Luxembourg — lui consacrent des rétrospectives d’envergure. Dans le même élan, son film Un rêve plus long que la nuit, récemment restauré sous l’égide de la maison Dior, s’apprête à retrouver le chemin des salles obscures. Autant d’événements qui hissent l’artiste au cœur du paysage artistique français. Cette mise en lumière s’explique notamment par un contexte de relecture de son œuvre à l’aune des enjeux contemporains du féminisme de l’ère post #MeToo. Niki de Saint Phalle apparaît ainsi, plus que jamais, comme une figure majeure de l’art du XXème siècle, dont la radicalité et l’audace continue de résonner avec les questionnements artistiques et politiques actuels.
Le médium de l’image
Un rêve plus long que la nuit se présente comme un récit d’apprentissage débridé où Camélia, une jeune enfant, se métamorphose en adulte. Ingénue et curieuse, elle part à la découverte d’un monde perverti où règne fascisme et patriarcat. Le film n’a été que rarement présenté lors de sa sortie en 1976, sans doute en raison de la marginalité de sa production. Il a tout de même été présenté à l’époque dans une émission France Culture par l’ethnologue Claude Gaignebet¹. Celui-ci en proposait une analyse symbolique à la lumière de la psychanalyse, centrée sur la thématique de l’enfance, au risque de réduire le propos du film à cet unique schéma. La ressortie en salles du film nous offre ainsi l’opportunité de réévaluer cette œuvre dans toute sa puissance subversive et poétique.
À l’instar de la toile dans ses tableaux, l’artiste se sert de la pellicule comme d’un exutoire pour projeter de violentes émotions. Sa mise en scène est baroque et s’appuie sur des métaphores flirtant avec le grotesque que l’artiste assume de par une imagerie phallique omniprésente à l’écran, où le sexe masculin est notamment symbolisé par des armes. Des représentations viriles rapidement tournées en dérision ou neutralisées par des éjaculations de plumes ou de confettis, opérant ainsi une subversion joyeuse mais radicale des signes de domination.
Un rêve plus long que la nuit est à l’image de l’œuvre de Niki de Saint Phalle : une fresque dans laquelle elle met en scène des histoires à la manière de contes de fées, où se mêlent horreur et sensualité. Les décors du film sont d’ailleurs peuplés de ses emblématiques Nanas et de sculptures cinétiques conçues par son compagnon Jean Tinguely. Niki de Saint Phalle a également dessiné le générique et fabriqué une séquence en prise de vue animée, témoignant ainsi de son goût pour l’expérimentation formelle. En articulant peinture, sculpture et cinéma, l’artiste ne fait pas que juxtaposer les médiums : elle excèdent leurs frontières et transcende leurs spécificités propres. Cette approche repose sur l’idée que l’image est un médium composite et multiple. Autrement dit, l’image est ici pensée comme un espace de circulation des disciplines, où la narration épouse la plasticité des sculptures. Un rêve plus long que la nuit est un joyau oublié des années 1970 qui mérite d’être redécouvert en salles, non seulement pour sa richesse formelle, mais aussi pour sa capacité à penser l’image dans sa nature hybride.
- Lien de l’émission https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/l-invite-du-lundi-niki-de-saint-phalle-1ere-diffusion-28-03-1999-4533322 (Consulté le 9 juin 2025).