Traque à Boston

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Quand l’Amérique se reprend à rêver de croisade contre le Mal et de nation de l’amour, c’est effrayant.

Les cartons qui concluent Traque à Boston constituent le summum du sourd désir de fascisme qui innerve le dernier film de Peter Berg. On rappelle que Djokhar Tsarnaïev, le plus jeune frère des attentats de Boston, a été condamné à mort mais a fait appel ; que la police n’a toujours pas de preuves pour inculper sa belle-sœur, Katherine Russell, pourtant présentée comme une complice des frères Tsarnaïev dans le film ; et que toutes les victimes des attentats réclament encore vengeance.
En somme, conformément à la logique du film, les images appellent symboliquement au meurtre de Djokhar et Katherine, au nom de la vendetta, et non plus de la loi.

Désir de fascisme et lutte contre le Mal

Le discours que prononce le policier Tommy Saunders (Mark Wahlberg) à l’un de ses collègues au moment de la capture de Djokhar Tsarnaïev (Alex Wolff) est un chef-d’œuvre de manichéisme : « Ces horreurs sont inévitables. Ces hommes sont les agents du diable. Mais face à la haine, notre amour est plus fort. »

Vous croyez rêvez ? Non, nous avons bien affaire à une Amérique qui se croit encore élue de Dieu, elle dont la mission est d’apporter l’amour dans le monde en dépit des lieux de sauvagerie qui le hantent encore. Un repli simpliste et xénophobe qui n’est peut-être pas sans liens avec l’élection de Donald Trump.

Que peut-on faire alors contre les agents du Démon ? Les bannir de la société humaine, tout simplement. Lorsque Katherine Russel (Melissa Benoist) est placée en garde-à-vue, la police lui interdit tout bonnement de demander un avocat. Le problème n’est pas le fait en lui-même (il a réellement eu lieu), mais la manière dont le film se place systématiquement du côté des policiers : Katherine, muette, voilée physiquement et presque moralement, apparaît comme une femme incompréhensible, soumise en tous points à la charia, à la limite de la perversité. Il semble donc juste de la traiter comme une complice des frères Tsarnaïev étant donné son comportement. Voilà comment fonctionne Traque à Boston : il établit une culpabilité à partir des images, sans chercher à les interroger.

Le début était pourtant prometteur. La caméra, instable, collait au corps des personnages, créant une atmosphère de huis-clos. Mais rapidement, le montage se charge de confronter images d’archives, images des caméras de surveillance et images de fiction à la manière de certains reportages télévisés, dans lesquels on cherche systématiquement à jeter le trouble sur des figures, des postures, dont on tire d’une prétendue anormalité le soupçon d’une menace. Ainsi, parce qu’un homme à la casquette blanche regarde ailleurs au moment où la bombe explose, le FBI conclut qu’il s’agit là d’un terroriste. Peu à peu, la caméra délaisse l’intimité poisseuse des corps humains, où le manichéisme se trouble, pour embrasser une pseudo-herméneutique des images, qui s’apparente bien plus à la physiognomonie du XIXe siècle – autrement dit, le délit de faciès – qu’à une véritable critique des images.

L’instrumentalisation des victimes

Pire encore, on découvre qu’en fin de compte, tous les personnages secondaires présentés au début – un jeune couple, un étudiant chinois, un début de romance entre une élève du MIT et un policier – ne servaient qu’à montrer l’ignominie des terroristes, et la nécessité de passer au-dessus des lois pour venger les citoyens. Exemple vicié du « fusil de Tchekov » – une théorie théâtrale du dramaturge russe qui estimait que si un fusil était posé sur scène, il devait y avoir un coup de feu dans la pièce à un moment donné – qui instrumentalise notre empathie pour des êtres humains à des fins sécuritaires.

Revenons au discours de Tommy Saunders. On pourrait croire qu’il s’agit d’un fait isolé, propre à un individu sous le choc ; sauf qu’à ce discours, en voix-off, s’ajoute un montage parallèle qui légitime la « guerre du Bien contre le Mal », de « l’amour contre la haine » en s’appuyant sur les images du jeune couple, chacun amputé d’une jambe, qui continue de s’aimer malgré leurs blessures. Le moment émotion au service de l’idéologie sécuritaire et de la privation des droits civiques.

Le dernier quart d’heure du film annihile vraiment l’ensemble de l’oeuvre, dont le titre original, Patriots Day, est bien plus parlant. Le discours final de David Ortiz, leader des Red Socks de Boston, placé devant des panneaux publicitaires rutilants, sur la victoire de la Nation en tant que « Nous » indivisible, écrase les différences individuelles au nom d’une supposée transcendance de la collectivité. Une manière pompeuse de dire que ceux qui n’acceptent pas cette vision de la nation états-unienne sont ses ennemis, et doivent en payer le prix.
 

Titre original : Patriots Day

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Durée : 129 mn


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