En somme, conformément à la logique du film, les images appellent symboliquement au meurtre de Djokhar et Katherine, au nom de la vendetta, et non plus de la loi.
Désir de fascisme et lutte contre le Mal
Vous croyez rêvez ? Non, nous avons bien affaire à une Amérique qui se croit encore élue de Dieu, elle dont la mission est d’apporter l’amour dans le monde en dépit des lieux de sauvagerie qui le hantent encore. Un repli simpliste et xénophobe qui n’est peut-être pas sans liens avec l’élection de Donald Trump.
Que peut-on faire alors contre les agents du Démon ? Les bannir de la société humaine, tout simplement. Lorsque Katherine Russel (Melissa Benoist) est placée en garde-à-vue, la police lui interdit tout bonnement de demander un avocat. Le problème n’est pas le fait en lui-même (il a réellement eu lieu), mais la manière dont le film se place systématiquement du côté des policiers : Katherine, muette, voilée physiquement et presque moralement, apparaît comme une femme incompréhensible, soumise en tous points à la charia, à la limite de la perversité. Il semble donc juste de la traiter comme une complice des frères Tsarnaïev étant donné son comportement. Voilà comment fonctionne Traque à Boston : il établit une culpabilité à partir des images, sans chercher à les interroger.
Le début était pourtant prometteur. La caméra, instable, collait au corps des personnages, créant une atmosphère de huis-clos. Mais rapidement, le montage se charge de confronter images d’archives, images des caméras de surveillance et images de fiction à la manière de certains reportages télévisés, dans lesquels on cherche systématiquement à jeter le trouble sur des figures, des postures, dont on tire d’une prétendue anormalité le soupçon d’une menace. Ainsi, parce qu’un homme à la casquette blanche regarde ailleurs au moment où la bombe explose, le FBI conclut qu’il s’agit là d’un terroriste. Peu à peu, la caméra délaisse l’intimité poisseuse des corps humains, où le manichéisme se trouble, pour embrasser une pseudo-herméneutique des images, qui s’apparente bien plus à la physiognomonie du XIXe siècle – autrement dit, le délit de faciès – qu’à une véritable critique des images.
L’instrumentalisation des victimes
Revenons au discours de Tommy Saunders. On pourrait croire qu’il s’agit d’un fait isolé, propre à un individu sous le choc ; sauf qu’à ce discours, en voix-off, s’ajoute un montage parallèle qui légitime la « guerre du Bien contre le Mal », de « l’amour contre la haine » en s’appuyant sur les images du jeune couple, chacun amputé d’une jambe, qui continue de s’aimer malgré leurs blessures. Le moment émotion au service de l’idéologie sécuritaire et de la privation des droits civiques.
Le dernier quart d’heure du film annihile vraiment l’ensemble de l’oeuvre, dont le titre original, Patriots Day, est bien plus parlant. Le discours final de David Ortiz, leader des Red Socks de Boston, placé devant des panneaux publicitaires rutilants, sur la victoire de la Nation en tant que « Nous » indivisible, écrase les différences individuelles au nom d’une supposée transcendance de la collectivité. Une manière pompeuse de dire que ceux qui n’acceptent pas cette vision de la nation états-unienne sont ses ennemis, et doivent en payer le prix.