The Voices

Article écrit par

Avec son nouveau film, Marjane Satrapi s’adonne à un pur plaisir récréatif. Dispensable, mais sympathique.

L’affable et inoffensif Jerry mène son petit train de vie dans une bourgade américaine bien tranquille. Il travaille à l’usine le jour, et retrouve chaque soir son petit nid douillet, en compagnie de ses fidèles chien et chat, Bosco et Monsieur Moustache. Le jeune homme ne demanderait rien de plus dans la vie, s’il n’était attiré par la belle Fiona, une collègue de travail. Tout semble donc à peu près ordinaire dans la vie de Jerry – du moins, tant qu’il n’oublie pas de prendre ses médicaments… Avec The Voices, Marjane Satrapi s’essaie à une fantaisie sans prétention ni ambition, qui ne lésine pas sur les effets tout en conservant une certaine authenticité de ton. Ce pur exercice de style, vain mais récréatif, tente le pari d’une réconciliation surprenante du gore et du burlesque, sous l’égide de la patte visuelle caractéristique de la cinéaste, peu avare en artifices colorés. Au final, ce qui l’emporte reste le sentiment d’avoir sous les yeux une pâtisserie rutilante et richement parée, parfois difficile à digérer (un humour pas toujours du plus bel effet, mais surtout des ficelles psychologiques assommantes relatant le passé traumatique du Jerry), qui laisse cependant un certain arôme en bouche, tour à tour acide et sucré.

Comme dans la plupart des récits mettant en scène un esprit schizophrène, The Voices orchestre assez grossièrement son travail sur les points de vue, à base d’oppositions platement hermétiques dès lors qu’il s’agit de délimiter la réalité de l’image faussée que s’en fait le protagoniste. Paradoxalement, c’est aussi là que le film puise son principal intérêt. On sera gré à Satrapi de ne jamais porter de jugement sur son protagoniste, et pour cause : son film épouse jusqu’au bout – et même davantage, lors d’un final totalement barré dont on taira la teneur – le point de vue de ce sympathique Jerry, dont on est progressivement convié à découvrir la folie. Le jeune homme remodèle la réalité par le biais de son esprit dérangé, parfois selon une logique de renversement total. Ainsi, son home sweet home lumineux, propre et accueillant, se révélera, en tant que produit de son regard déviant, n’être en réalité qu’un horrible taudis, jonché de détritus et gagné par la pourriture. Ce n’est qu’après avoir pris son traitement médical, cloîtré entre ces quatre murs, que le personnage aura son seul moment de lucidité. Or, à cette alternative dans l’antre de Jerry (la découverte de la réalité cauchermardesque du lieu opposée à sa vision subjective idéalisée) ne répond que l’unilatéralité de son point de vue halluciné dans le monde extérieur, Jerry ne se retrouvant jamais hors de chez lui dans un état normal. Ainsi, le film laisse sur une interrogation diffuse mais persistante : à quoi peut bien ressembler le monde extérieur soustrait de ce regard malade qui gouverne le récit ?

Titre original : The Voices

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Durée : 109 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

A cause d’un assassinat

A cause d’un assassinat

Ce film d’Alan J. Pakula (1974), deux années avant son grand succès Les Hommes du président (1976), reflète les doutes d’une partie contestataire de la société américaine sur l’intégrité du système, après de nombreux et mystérieux assassinats politiques (Kennedy et son frère Bob, Martin Luther King), et ses craintes d’un complot ou de manipulations contre la démocratie. D’où un thriller politique volontiers paranoïaque.

Chronique des années de braise: une épopée tumultueuse portée à son point d’incandescence

Chronique des années de braise: une épopée tumultueuse portée à son point d’incandescence

C’est toute une mémoire collective du peuple algérien que retrace l’odyssée mouvementée du paysan Ahmed, héros mythique d’une épopée visionnaire. Evoquées dans un scope 70 mm en Panavision éblouissant de lumière crue, ces années de braise sont le ferment d’une révolution qui embrase sourdement une population sacrifiée par la colonisation française. La fresque homérique oscille entre une conscience nationaliste aigüe et un lyrisme de tragédie grecque où le réalisateur Mohammed Lahkdar-Hamina se mue en oracle histrionique, voix prophétique et guide spirituel d’un peuple en quête d’émancipation. Analyse…