Métro, boulot, dodo : la vie de Rachel (Emilia Clarke), cadre dans une grande compagnie, est une mécanique lourde mais bien réglée. Elle vient d’ailleurs d’être promue : après avoir supervisé la configuration d’assistant artificiels de vie, elle va gérer des profils d’influenceurs. On lui propose également de bénéficier d’une précieuse place au centre utérin, filiale de l’entreprise, qui propose de prendre entièrement sa grossesse en charge. Son bébé serait inséminé artificiellement dans un « pod », un œuf à la pointe de la technologie, où il resterait en gestation jusqu’à livraison 8 mois plus tard. Rachel peut retourner au bureau dès le lendemain de l’opération et continuer à vivre comme avant. Mais qu’en pense son mari Alvy (Chiewetel Ejiofor), biologiste légèrement réfractaire à la technologie ?
Science-fiction de l’intime
Sophie Barthes, qui signe son deuxième film, reprend beaucoup de thèmes qui lui étaient cher dans cette comédie de science-fiction élégante et légère. Ici, la SF n’est pas tant employée pour parler d’un problème de société que de ses conséquences ordinaires sur la vie d’un couple. Nous ne sommes pas en face d’un signal d’alarme strident comme pouvait l’être Bienvenue à Gattaca (1997) avec un message voisin. C’est que l’objet du film n’est pas la faille, l’envers sinistre du décor ou le sacrifice nécessaire à la bonne marche des choses. La société qui voit naitre la génération « pod » a l’air de très bien se porter : pas d’inégalités dévorantes, pas de guerre ou de manque de ressources, ni visible ni hors-champ. Certes, le capitalisme triomphe, mais tout le monde s’y est fait. Justement, tout le monde en est fait. Pegazus, dont le patron ressemble à une caricature de Jeff Bezos, y contribue autant que faire ce peut. Lui et ses ingénieurs ont réussi le pari de couper définitivement l’homme de sa biologie, la plier à sa volonté et lui imposer sa convenance. L’humain est enfin devenu un produit, que tout le monde ne peut pas se permettre.
Comédie de (re)mariage
C’est un progrès, dit-on. La femme s’émancipe enfin, elle n’est plus esclave de son corps, victime de sa capacité reproductrice. Elle peut faire carrière sans coupure, sans devenir une « mère distraite » veillant au bien-être de ses petits. Et son mari aussi peut en profiter : les hommes n’ont-ils jamais rêvé de porter un enfant ? Ils peuvent en tout cas y prétendre, moyennant fortune. Sophie Bartes explore ces questions avec la dynamique du couple « inversée » : Emilia Clarke incarne très bien la cadre quadragénaire à la carrière stable et prospère avec son sourire mi pincé mi amusé. Le mari assure un rôle plus oisif (bien qu’il travaille), plus nature aussi. Spécialiste en botanique à l’université, son vrai métier consiste à concevoir des plantes en hologrammes. Tandis que Rachel participe activement au système, Alvy traine des pieds, reste en marge. Un couple qui fonctionne malgré ses différences, présentant ainsi deux visions du monde, évidemment ébranlées par l’arrivée prochaine de l’enfant. La grossesse est un moment d’expression privilégié de l’instinct animal. L’équilibre hormonal est bouleversé, le corps se transforme, on devient vulnérable, désormais craintif pour cette vie fragile qu’on abrite. La caméra de Sophie Barthes le montre volontiers comme une sublimation. Pour les deux époux pris chacun dans leur vie professionnelle, c’est l’occasion de se retrouver, de se mettre d’accord autour d’un sujet commun.
Les pods rêvent-ils de parents électriques ?
Outre le côté parfois absurde de leur monde futuriste, il y a quelque chose de comique à voir ce vieux couple de quarantenaires confrontés à des questions et des émois de jeunes parents. Bien sûr, celle du pod pour commencer. Rachel en parle à sa psychologue, un ordinateur qui la regarde à travers un œil géant. « mon mari préfère la naissance naturelle ». « Pourquoi parler d’une naissance naturelle ? Est-ce que vous lui parlez de moi comme d’une psychologue artificielle ? » Semblable logique attend Alvy, peu habitué à ces méthodes pourtant à la pointe de la technologie. Plus tard, au détour d’une question, on découvre que les enfants nées d’un pod ne peuvent pas rêver. Et alors, à quoi cela peut-il servir ? Pour la psy, ce n’est même pas un matériel analytique valable. Quand bien même, Pegazus a pensé à tout : les rêves sont vendus dans des boîtes en carton…
Par une approche personnelle et comique, loin du cynisme grinçant ou du film catastrophe, The Pod Generation s’attaque à la déshumanisation moderne et à la capitalisation du corps humain. Si ce dernier genre vous intéresse davantage, Bienvenue à Gattaca reste un film toujours efficace et d’actualité 25 ans plus tard, tout comme Les fils de l’homme (2006). Enfin, dans un genre bien différent, Eraserhead (1977) prend le contrepied du film parental avec une expérience surréaliste et terrifiante.