Soit un couple de scientifiques un peu popstar sur les bords : têtes de gondole de leur sponsor (une multinationale pharmaceutique), ils fusionnent des brochettes d’ADN pour créer des hybrides assez hideux, mais bien vivants. Clive et Elsa veulent malgré tout aller plus loin, et s’attaquer à l’ADN humain. Devant le refus du labo, ils décident de poursuivre leur recherche en secret. Le résultat ? Dren, une créature bien trop humaine, qui les fascine et les attire irrémédiablement, jusqu’à ce que son évolution les dépasse complètement…
L’ivresse de la création
Au début, nous sommes en territoire connu : figures actualisées du génie scientifique qui oublie la morale pour privilégier l’exploit narcissique, Clive et Elsa sont aussi présentés comme émotionnellement immatures. Obnubilés par leurs recherches, ils ont transformé leur labo en repaire de geeks, et veulent agir en toute impunité, sans se soucier d’une quelconque intervention extérieure.
Splice – et c’est là toute sa beauté – épouse parfaitement le point de vue biaisé de ce couple trop brillant pour son propre bien, qui découvre un sentiment puissant (celui d’être « parent ») à travers une création qui ne devrait être qu’une expérience purement scientifique. Ce sont les pulsions maternelles d’Elsa qui l’amènent à vouloir garder Dren en vie, tandis que Clive lutte pour conserver un semblant d’éthique. Mais tous deux finissent, comme pour toute expérience interdite, par être guidés par leurs émotions plutôt que par la raison.
En territoire interdit
À partir du moment où le spectateur, aussi fasciné que nos héros, observe le développement de la fameuse créature, Splice pénètre dans des territoires étranges et malaisants, avec un jusquauboutisme trop rare pour ne pas être souligné. Cette seconde partie tranche à la fois dans le cadre (on passe, un peu schématiquement, du laboratoire à la pureté clinique à une masure en bois aux teintes automnales, bientôt envahie par l’obscurité) et dans le propos, Natali abandonnant les considérations éthiques pour plonger tête la première dans un freak show diablement bien maîtrisé, mutations inopinées et déviances sexuellement explicites à l’appui. C’est inconfortable, drôle, effrayant, et totalement incorrect, et l’on jubile à l’idée de retrouver les mêmes sensations qu’en découvrant les premiers opus de David Cronenberg (on pense beaucoup à Chromosome 3).
On s’incline bien bas devant les majestueux effets spéciaux, issus des efforts conjoints de KNB, CORE et les frenchies de BUF, qui ont fusionné comme jamais les techniques les plus pointues de performance capture et les effets mécaniques bluffants. Mais cette rigueur scientifique absolue, paradoxalement indispensable à la construction d’une histoire fictionnelle (on dépasse ici de très loin les progrès actuels du clonage), serait au final inutile si l’évolution des trois personnages principaux était incohérente.
Outre la diaphane Delphine Chanéac, qui tout comme Zoé Saldana dans Avatar, fait passer mille émotions à travers les pixels, Adrien Brody et Sarah Polley, qu’on a connus très cabotins, se révèlent ici à la fois justes et touchants. Chacune de leurs décisions, de leurs réactions, semble d’une parfaite logique. Jusqu’au dénouement glaçant, cynique, fin de parcours inévitable d’une fable amorale sur laquelle le temps n’aura pas de prise.