Sidney Lumet, le dernier des artisans

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Avec la disparition de Sidney Lumet (1924-2011), nous voyons le départ d´un des derniers représentants en activité de l´âge d´or hollywoodien.

En dépit de son âge déjà avancé (86 ans), la surprise le dispute à la tristesse, devant l’annonce la disparition de Sidney Lumet, tant celui ci avait montré une forme cinématographique nullement émoussée, avec les remarquables Jugez-moi coupable (2006) et 7h58 ce matin là (2007). Lumet, c’est le synonyme d’un art du travail bien fait, appris dès ses débuts, à la fin des années 50, au sein des grands studios. Ayant grandi dans une famille d’artistes (son père était l’acteur de théâtre yiddish Barcuh Lumet et sa mère la danseuse Eugenia Wermus), Lumet aura vu la première partie de sa carrière s’orienter vers cette voie exigeante, en étant tour à tour acteur puis metteur en scène off à Broadway.

Ce raffinement s’allie désormais à un savoir-faire brillant lorsqu’il intègre les studios après avoir été réalisateur pour la télévision. Toute la carrière de Lumet repose sur cet équilibre entre déférent et efficace employé de studio et vrai auteur. C’est ce qui lui permit d’avoir une telle longévité, quand foule de jeunes chiens fous du Nouvel Hollywood explosèrent en plein vol. Cet éclectisme le rendit parfois difficilement identifiable, notamment par une critique française, si encline à ranger les réalisateurs dans des cases définies. Genre de prédilection de Lumet, le polar urbain propose certains de ses films les plus brillants, comme sa trilogie de la corruption (Serpico, Le Prince de New York, Contre enquête), qu’il n’hésite pas à alterner avec des projets derrière lesquels il s’efface totalement. On trouve ainsi dans sa filmographie des ovnis tel que The Wiz (version Motown bien kitsch du Magicien d’Oz avec Diana Ross et Michael Jackson) ou une adaptation prestigieuse de Agatha Christie avec Le crime de l’Orient Express. Apprendre constamment son métier, se confronter à de multiples univers et types d’expériences était aussi important pour Lumet que de poser sa patte sur les films.

C’est probablement dans son engagement qu’il faut voir le fil conducteur de la carrière de Lumet, effectif dès le passionnant Douze hommes en colères. Lucide et amer dans Serpico, visionnaire dans Network, détonant dans Un après midi de chien (surprenante approche de l’homosexualité), le regard de Lumet ne se sera jamais bien éloigné des réalités de l’époque. Grand peintre des personnages solitaires et autodestructeurs (Treat Williams dans Le Prince de New York, Sean Connery dans l’incroyable The Offense) le réalisateur aura promené sa mise en scène immersive et sa mélancolie dans nombre de perles célébrées ou méconnues. La ressortie récente de A Bout de course, drame familial croisé à un questionnement des idéologies révolutionnaires 60’s, montrait encore le registre immense de Lumet. Un grand nous quitte.


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