Pour le reste, le nouveau film du tandem à l’origine d’Intouchables (2011) ne dévie aucunement de la trajectoire attendue. A travers cette histoire d’immigré sans papiers qui lutte pour ne pas quitter le territoire français et voit son horizon bouleversé en croisant la route d’une cadre supérieure dépressive, c’est toute une mécanique qui est à l’oeuvre, à base de discours mou et d’opportunisme à peine dissimulé. Si Charlotte Gainsbourg et Omar Sy restent engoncés dans leur registre habituel (la neurasthénique qui va retrouver le goût à la vie ; le brave type en difficulté qui garde toujours la pêche et le sourire), l’alchimie entre les deux fonctionne. Leur complicité est d’ailleurs le seul élément à insuffler un semblant de vie dans ce film sans éclat ni surprise, qui se voudrait à la fois social, drôle et sentimental, mais échoue dans les grandes largeurs. Autant les cinéastes semblent à l’aide dans un registre plus léger (même si le film donne plus souvent à sourire qu’à véritablement s’esclaffer), autant leur traitement des moments plus graves laisse circonspect, renvoyant à une imagerie totalement stéréotypée : il ne suffit pas d’une lumière grisâtre, d’un protagoniste voûté et d’une bande-originale qui confine à la plus pompeuse solennité (signée Ludovico Einaudi) pour convaincre de la noblesse de ses intentions.
Le film se contenterait d’être un divertissement sympathique et conventionnel, si ce n’était un fond parfois incommodant. La problématique qui se pose avec un film comme Samba n’est pas tant de jauger, de quantifier sa puissance comique ou dramatique, que d’interroger les moyens, les stratégies par lesquels il entend susciter une réaction émotionnelle (un rire, une larme) chez son spectateur. Or sous cet angle, Samba se révèle symptomatique du comportement d’un certain cinéma dominant qui vise la rentabilité à tous points de vue. Au-delà de la volonté frontale d’imposer ses arguments poids lourds (des auteurs tout juste sortis d’un énorme succès populaire, un duo d’acteurs bankable, un sujet dans l’air du temps), le film témoigne, dans les ramifications plus souterraines de sa logique narrative, de cette dérive très actuelle où, à trop vouloir rechercher l’efficacité en terme de rythme et de dramaturgie, toute tentative de réflexion sur le sens s’est perdue. Aussi, Samba ressemble-t-il à une collection de situations censées faire, tour à tour, rire et pleurer, mais où la moindre aspérité est aussitôt évacuée.
On ne s’étendra pas sur la romance entre Samba et Alice, exploitant le motif de la mixité raciale et sociale avec plus ou moins de facilités, alors qu’en creux se profilent des interrogations qui méritent d’être soulevées, eut égard aux circonstances de leur rencontre (si elle n’était tant fragilisée, Alice lui aurait-elle adressé le moindre regard ?) comme de leur trajectoire respective (c’est au contact d’un immigré qu’une cadre supérieure puise le courage de retourner à un travail particulièrement déconnecté de la réalité du monde). Le ton badin adopté par les cinéastes ayant la fâcheuse tendance à tout faire prendre à la légère, l’attitude répréhensible de Samba envers son ami Jonas (qui trahit sa promesse et n’en éprouve que très mollement des remords) ne revêt pas plus d’importance qu’un simple quiproquo comique (comme le désormais fameux « Balance les chaussures ! »). A cet égard, l’existence purement utilitaire du personnage de Jonas (transformé in fine en un simple antagoniste) en dit long sur la démarche assez douteuse des auteurs. Derrière sa bonne humeur d’affichage et sa morale politique bon teint, le film de Toledano et Nakache révèle dans les replis de sa mécanique bien huilée une inclination franchement déplaisante, où l’amour comme la mort ne constitueraient ni plus ni moins que de simples ressorts de scénario. Le comble pour une comédie qui se prétend rassembleuse et pétrie d’humanité.