Pavé dans la mare, et pavé de bonnes intentions…
Attendu au tournant par un public intrigué ou fan du livre original, c’est sous les meilleures auspices que Sabotage a tenu sa grande avant-première au festival du film international de Toronto, en novembre dernier. L’œuvre y a connu un vif succès, son hardiesse téméraire ayant appelé la bonne foi de toutes sortes de cinéphiles férus au dernier degré, fous et festivaliers à lier qui se sont vite mis à applaudir ce qu’ils clamaient être un bijou de tension et un pamphlet prometteur. En visionnant le film, hélas, on voit beaucoup plus le second que le premier. Sabotage est un exercice de style aride qui a pour décor un désert.
Une coterie hétéroclite de militants écologistes et lanceurs d’alarmes, les personnages de Sabotage représentent toutes et tous une voie d’engagement différente vers une action choc au profit de la sauvegarde de la planète. On a un trio de jeunes femmes qui sentent arriver, de manière très tangible, la catastrophe climatique. On a un rebelle natif-américain, qui voit un lien direct entre le pillage des ressources naturelles et l’exploitation à grande échelle des terres de ses ancêtres. On a aussi un couple d’agriculteurs précaires – Spoliés de leur propriété par les manœuvres prédatrices d’une raffinerie de pétrole. Enfin, on a le cliché du couple de militants plus zélés qu’ils ne sont réellement concernés, cheveux teints et consorts, dont au moins l’un d’eux semble provenir d’un milieu aisé. Kristine Frøseth arrivera à injecter un peu d’épaisseur à cette composition ingrate. Lukas Gage y arrivera moins. Ce beau monde (interprété, entre autres, par Ariela Barer, la Thunberg-en-chef, Jake Weary, l’éleveur dépouillé, et Forrest Goodluck, acteur Navajo dont la famille vit encore dans une réserve, où ont d’ailleurs été tournées certaines scènes du film) a des histoires à raconter. Le film nous les donne à voir à travers une série de flashbacks qui servent à épicer une structure narrative très directe, à savoir la préparation puis la réalisation d’un acte de sabotage d’un oléoduc. L’effet créé tient moins de l’adresse jazzy d’un Pulp Fiction que d’un croquis didactique.
… Sabotage est malheureusement avare en images signées.
Sabotage déçoit : En soi, rien ne paraît être en dessous dans son récit. Rien ne paraît être au-dessus non plus. Trop écrit, trop soigné, le film est désespérément en mal d’un grain de folie. Il n’a pas de friction, pas de sueur. Inscrit dans une grande tradition cinématographique – celle du film de casse –, Sabotage récupère des codes de montage mais délaisse ce que le genre peut avoir de plus incarné et de plus vivace. C’est simple, c’est un film trop pensé, trop prévu ! À la production, on retrouve le nom d’Isa Mazzei, scénariste de Cam, aussi réalisé par Daniel Goldhaber. Sabotage est un elevated heist movie comme Cam était de l’elevated horror. Encore que Cam n’était pas émoussé à ce point, c’était même le divertissement généreux que Sabotage a peur d’être !
C’est un fait que, si les gouvernements du monde entier ne réagissent pas très vite et très fort, ce qu’on peut appeler l’éco-terrorisme deviendra un sujet pressant, pour ne pas dire une nécessité absolue dans notre société. À défaut d’être le meilleur exemple d’un cinéma sur l’extinction et la rébellion, Sabotage en sera un pionnier. C’est déjà ça. C’est bête, sur le papier, le film avait tout pour être un coup de poing électrique et un coup de gueule canonique. Ou au moins, il avait tout pour être plus qu’une simple introduction. La construction quasi-démocratique du film (le tournage dans un lieu que Goodluck connait bien, la participation de Barer à la production et à l’écriture) n’a pas débloqué des perspectives uniques, elle n’a pas donné lieu à des résultats novateurs. Le film déborde de l’application assidue de tous les partis en présence. Malgré tout, le spectateur rêve d’une autre version de cette esthétique. Tourné dans la chaleur du Nouveau Mexique, en 16mm, Sabotage a comme une parenté avec les signatures visuelles les plus marquantes de Breaking Bad, série elle aussi tournée en pellicule dans cet État frontalier. Vince Gilligan et Peter Gould, show-runners de Breaking Bad et de son spin-off, sont des directeurs d’acteurs bien plus experts que Goldhaber, leur inventivité désarçonne. Forcément, on se dit qu’on aurait aimé voir leur interprétation de ce pitch. Pour mieux se la figurer, on pourra se rabattre sur l’épisode 7 de la première saison et l’épisode 5 de la dernière saison de Breaking Bad, incontournables mini-films de casse contemporains. Les personnages y sont mieux maitrisés et bien mieux caractérisés, cet effort en plus fait toute la différence.