Prova d’orchestra est un métrage à part dans l’œuvre de Fellini. Tout d’abord, ce film n’en est pas un. Fait pour la télévision italienne, il adopte un format plus court et une réalisation différente de celle d’une œuvre de fiction. Prova d’orchestra est à la marge entre le reportage et la fiction et laisse planer le doute sur les conditions de production de l’œuvre.
L’histoire est simple : le réalisateur d’une petite équipe de télévision fait une enquête sur la préparation d’une exécution symphonique par un grand orchestre. Tout comme Welles avec La Guerre des mondes à la radio, Fellini exploite ici la banalité et la légèreté de la chronique télévisée pour en bouleverser l’issue. L’équipe est invisible et la prise de l’évènement est directe, comme en témoignent les déplacements de lumières et les superpositions de voies. La musique du générique est un bruit de rue, seule et unique sortie de cette répétition, significativement sonore. L’ambiance du film est aussi portée par le lieu, archéologique et mythique, vraisemblable et symbolique.
Fellini met ici en scène la fabrication du spectacle. La répétition ne reproduit jamais au même, ce sont ces subtiles variations qui intéressent Fellini. Chacun parle d’abord de son instrument, donne un sens à sa place dans l’orchestre. Puis, soudainement, l’ordre laisse place au désordre le plus complet. C’est la télévision qui, en un sens, instaure le désordre en individualisant les musiciens qui chacun à leur tour vont connaître les feux du projecteur et la parole du moi. La mise en ordre du désordre, la possibilité de faire quelque chose ensemble tout en restant soi-même, est abordée par ce film, tout comme la nécessité d’un ordre et le danger potentiel qu’il recèle.
C’est avec l’apparition du chef d’orchestre que naît le désordre. Étranger, il va subir les affres d’une révolte de groupe. Cette révolte se traduit d’abord par les inscriptions sur les murs du lieu ainsi dénaturé puis par la substitution de la machine à l’homme, par le biais du métronome géant et enfin par la chute de la machine pour laisser place au néant. La révolution des musiciens, dans cet espace clos, laisse éclater la violence physique, les pulsions sexuelles, la destruction du lieu. On ne peut s’empêcher ici de penser à L’Ange exterminateur (1962) de Buñuel. Dès le début, la caméra enregistre des petites secousses comme de tremblement de terre. La révolte des musiciens prend fin suite à l‘intrusion de cette immense boule noire dans la salle de répétition. Le tremblement de terre, loin d’être naturel, vient en fait de la main de l’homme.
La séquence avec le chef d’orchestre, dans sa loge, donne une vision de la création, de la naissance à la mort du silence. C’est bien le chef qui, après la catastrophe, recompose l’harmonie de l’orchestre. Il élève de plus en plus la voix, ordonne, réutilise l’allemand. Le film se termine par un appel à la reprise : « Messieurs, on recommence ! », l’entraînant ainsi dans une spirale irréversible, anhistorique.
Il semble nécessaire de ne pas réduire Prova d’orchestra à une fable politique. Il s’apparenterait plutôt à une utopie négative. « Prova » signifie répétition mais aussi preuve, démonstration. Ce film est une démonstration indéniable de la façon dont l’artiste, surtout s’il est consacré, divinisé, peut et doit intervenir dans l’actualité de son contexte social. L’apologue est ici éthique et non pas, comme on l’a souvent pensé et écrit, politique.