En fait, toutes ces références pourraient paraître ennuyeuses ou superflues à qui ne connaît pas ou peu l’œuvre du Maestro italien. Mais il n’en est rien. Il suffit de se laisser guider, d’accepter le fil d’Ariane et la magie chère à Federico pour entrer dans un monde entre rêve et réalité, et qui était de source sûre l’essence même de la vie du cinéaste romain. Scola n’a pourtant pas voulu réaliser un film complètement biographique : il nous propose quelques petites touches sur la vie et l’œuvre de Fellini, avec des parties en noir et blanc (pendant la guerre et au journal Marc’Aurelio où ils firent leurs débuts tous deux, à dix ans d’écart), des images d’archives, des extraits de films de Fellini et de Scola, notamment le passage de Nous nous sommes tant aimés (1975) où Scola a reconstitué le tournage de la célèbre scène de la fontaine de Trevi dans La Dolce Vita (1959). Et, bien sûr, toute une partie filmée qui parvient à merveille à retranscrire l’univers magique du Maestro. Jusqu’à l’apothéose finale, ce point d’orgue qui, à la manière du finale de Huit et demi, décline toutes les plus images des films felliniens qui défilent comme dans un rêve ou un diaporama céleste, alors que Fellini s’est échappé de son cercueil exposé dans le studio 5 de Cinecittà et qu’il s’est réfugié sur un petit manège pour échapper aux soldats emplumés qui le veillaient sur fond de ciel bleu.
L’enfance est là, mais aussi l’amitié et les longues promenades en voiture que Fellini appréciait tout particulièrement et qui permettent au spectateur de 2014 de rencontrer le petit monde romain, depuis les prostituées de la Via Appia Antica jusqu’aux personnages fabuleux de ses films, en passant bien sûr par le latin lover, l’ami des deux grands cinéastes, maintenant disparu, Marcello Mastroianni qui a traversé leurs œuvres de la manière magistrale que l’on sait, même si Fellini s’est employé à le rendre plus beau, alors que Scola l’a enlaidi (ce dont se plaignait la mère de Mastroianni, petit clin d’œil dans le film). En effet, entre le Marcello de Huit et demi et le Mastroianni de Drame de la Jalousie (1970) de Scola, il y a une telle différence qu’on aurait presque du mal à reconnaître l’acteur, preuve de son immense talent.
Un film tout en demi-teintes, empreint de la magie et de la synchronicité felliniennes, qui donne encore et encore envie de revoir tout l’œuvre de Fellini et tous les films mélancoliques d’Ettore Scola, dont les premiers, mais surtout La Nuit de Varennes (1982), Le Bal (1983), Une journée particulière (1977), Gente di Roma, Splendor (1989) – oh oui ! -, etc. En effet, s’il est étrange de s’appeler Federico, que dire de celui qui s’appelle Ettore ? Sinon implorer pour que "E viva il cinema e la nave va" (Vive le cinéma et vogue le navire)…