Proud Mary

Article écrit par

Un scénario passable sauvé (notamment) par une actrice incroyable…

Si Proud Mary reconduit des figures et des schèmes éculés, il reste un objet singulier et intéressant, doté de vrais atouts.

Mise en scène et musique au diapason

Articulé autour d’un conflit fort mais guère innovant – peut-on s’attacher à la meurtrière de son père ? -, le scénario imaginé par John S. Newman, Christian Swegal et Steve Antin convoque de vieilles ficelles.
Iranien, Babak Najafi a étudié le documentaire en Suède avant de signer plusieurs courts-métrages, les films Sebbe en 2010 et Stockholm noir. Mafia blanche en 2012, puis, aux Etats-Unis, six ans plus tard, La Chute de Londres, continuant dans un sillon atypique et singulier. Une vision personnelle de la mise en scène qui se retrouve d’ailleurs aussi dans cet opus-ci, marqué par une relative lenteur et une alternance entre des confrontations aux allures shakespeariennes sciemment dilatées et des scènes de combats chorégraphiées comme dans des wu xia pian (films de sabres chinois), le tout dans des couleurs très expressives et marquées qui permettent à Proud Mary d’échapper au réalisme étriqué. Cela est permis également par le choix de confier la photo à l’opérateur danois Dan Laustsen, associé au cinéma de genre – Le Pacte des Loups (2001) et Silent Hill (2006) de Christophe Gans, The Substitute (2007) et Possédée (2012) de son compatriote Ole Bornedal et trois collaborations avec Guillermo Del Toro dont, cette année, The Shape of Water. On retrouve même, enfin, cet esprit de stylisation dès l’affiche en noir et blanc sur laquelle la coiffure du personnage éponyme abrite visages, lieux et moments du film.

A côté de cette mise en image sophistiquée aux couleurs travaillées et mouvements caressants, une bande-son rutilante constitue un autre argument de séduction. Elle aligne entre autres « Papa was a Rollin’Stone » des The Temptations, « I do love you » de Billy Stewart, « Comin’ from where I’m from » d’Anthony Hamilton ou encore la chanson d’Ike et Tina Turner qui donne son nom au film – à côté des pistes composées dans un esprit analogue aux morceaux cités par Fil Eisler conférant au  métrage comme un parfum d’une autre époque. Proud Mary arrive cependant à dépasser le statut d’objet fétichiste et purement esthétisant – voir aussi le séduisant appartement de Mary – grâce à une comédienne hors-pair…

Une actrice étonnante

Si le métrage de Najafi vaut le détour, c’est en effet de prime abord pour elle : Taraji P. Henson. A la fois douce et féline, elle embrase le film et octroie une grande densité à son personnage de tueuse froide à l’instinct maternel, magnétique et envoûtante à la fois, d’un charisme notable avec sa voix rauque et veloutée, tout à la fois belle et singulière, simultanément asexuée et désirable, elle semble comme sans âge et campe une héroïne moderne d’une étoffe remarquable.
En ambassadrice de la communauté afro-américaine, Taraji P. Henson fascine et fédère dans ce film dans lequel les personnages centraux sont tous noirs, ce qui octroie à Proud Mary une dimension politique très intéressante. L’actrice reprend pour ainsi dire le flambeau d’un Danny Glover également présent et qu’elle occit symboliquement. On souhaite revoir bientôt Henson dans d’autres rôles complexes et importants, et voir aussi comment va évoluer la carrière de Najafi, au service peut-être de scénarios plus ambitieux.

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…