Police spéciale. Disponible dans la formule abonnement d’ UniversCiné.

Article écrit par

Une prostituée tente de reconstruire sa vie, luttant contre l’hypocrisie et la violence de la société. Une dénonciation sans concession signée par l’indomptable Samuel Fuller.

En plus, des œuvres récentes, souvent des exclusivités, UniversCiné  ne cesse d’enrichir  son catalogue avec  des films du patrimoine, des raretés, des bijoux oubliés qui n’ont rien perdu de leur splendeur. Ce mois de juin,  dans la formule abonnement de la plateforme, coup de projecteur sur  Police Spéciale (The Naked Kiss), un polar déchirant  signé par l’inoxydable Samuel Fuller.

Kelly (Constance Towers), ancienne prostituée, a trouvé dans le métier d’infirmière spécialisée dans la rééducation d’enfants accidentés  une vocation qui lui permet de reconstruire sa vie.  Mais dans la petite ville de Grantville, où elle va  également rencontrer l’amour, la violence va venir rapidement la rattraper. Habitée par une Constance Towers dont la palette d’émotions n’a d’égale que l’intensité de son jeu, ce portrait de femme revancharde, guidée par des sentiments toujours purs, nous saisit littéralement. Dénonçant sans détour l’omnipotence masculine au travers de personnages ambivalents finement dessinés : un flic tiraillé entre la rigueur (Anthony Esley) de la loi et le désordre de son cœur, un homme d’affaires cultivé et ténébreux (Michael Dante).

Pour disséquer les mécanismes la violence, Fuller les met en scène dans leur cruauté la plus sèche. Son refus de la demi-mesure, que certains esprits facilement outrés qualifieront commodément de complaisant, passe entre autres par  la frontalité des cadrages. La démonstration la plus spectaculaire étant donnée dans l’incipit : froid et glaçant, comme  dans la plus pure tradition du cinéma d’épouvante. Une horreur viscérale et dérangeante qui puise sa source dans les esprits torturés de ses victimes/coupables.  Film à l’atmosphère poisseuse et tendue qui place en permanence ses personnages principaux aux frontières de l’implosion.

A l’instar d’une de ses plus saisissantes descentes aux enfers que peut être Shock Corridor (1963) – qui fait d’ailleurs ici l’objet  d’une autocitation lors d’un plan sur une salle de cinéma-, les psychoses explosent ici en plein jour sans aucun pathos. Le regard du réalisateur se doublant d’un souci de réalisme ; l’immersion dans les salles de rééducation offre un tableau émouvant d’un pan souvent caché de l’univers médical. Autre univers exploré, la prostitution, hypocritement considérée hors-la loi, est abordée avec le même naturalisme social. Description peu reluisante d’un commerce dirigé ici par une femme vénale et cynique pour le plaisir de clients masculins sans vergogne.  Le drame se développe dans le cadre d’un polar calibré selon les canons des séries B hollywoodiennes : intrigue à tiroirs, fatum, twist, sans oublier de laisser espérer une belle histoire d’amour … Les modestes moyens alloués à ce genre cinématographique dopent l’art et la manière  de Fuller. Scénario épuré, dialogues acérés, images chocs  font toute la richesse de son cinéma. The Naked Kiss (titre bien préférable à la  saugrenue traduction française) démontre une nouvelle fois que Fuller est un incomparable révélateur de la noirceur de l’âme humaine. Cinéma engagé qui milite pour le droit à la rédemption.  Après cet excellent moment, profitez toujours d’Universciné pour (re)découvrir également l’excellent Dresser pour tuer (1982).

Titre original : The Naked Kiss

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre : ,

Pays :

Durée : 90 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…