Opera Jawa

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Basé sur le Râmâyana, texte fondamental de l’hindouisme, Opera Jawa se présente aussi comme un requiem, ce qui ne va pas sans évoquer bien sûr Mozart quand on sait que le film est coproduit par l’Autriche. En effet, ce montage indonésien et autrichien produit un choc culturel important qui ne pouvait donner naissance qu’à une […]

Basé sur le Râmâyana, texte fondamental de l’hindouisme, Opera Jawa se présente aussi comme un requiem, ce qui ne va pas sans évoquer bien sûr Mozart quand on sait que le film est coproduit par l’Autriche. En effet, ce montage indonésien et autrichien produit un choc culturel important qui ne pouvait donner naissance qu’à une sorte d’Ovni aux couleurs superbes.

Bien sûr, Opera Jawa est un film qui mérite attention et il ne sera certainement pas le film préféré du samedi soir. Mais il présente d’énormes qualités plastiques, sorte de parenté reconnue avec un spectacle de Peter Brook, de Peter Sellars ou de Bob Wilson, mais il évoque aussi le théâtre du Soleil ou la célébrissime Montagne sacrée d’Alejandro Jodorowsky. De plus, le réalisateur Garin Nugroho, de par son engagement politique déjà à l’œuvre dans son film Unconcealed Poetry (Puisi Tak Terkuburkan) en 1965, ne fait pas qu’adapter ici un texte sacré. Il veut montrer comment fonctionne une société qui, en raison même quelquefois de la foi, peut en arriver à commettre des crimes et des atrocités, parce que chacun croit avoir raison contre l’autre.

Vaste sujet certes que le réalisateur a mis en pratique en préparant pendant de longs mois de grandes chorégraphies (certaines vous éviteront un voyage en Indonésie et sont certainement moins folkloriques que ce qu’on vous y montrerait), des chants, des masques et de sublimes maquillages. Le film, par contre, fut filmé très rapidement, en seulement deux semaines, ce qui paraît peu eu égard à la mise en scène et surtout aux mouvements de caméra très étudiés. Tout, dans Opera Jawa, me paraît en outre éminemment symbolique, jusqu’aux couleurs utilisées, aux décors, etc. Le réalisateur confie avoir demandé à son chef opérateur, Teoh Gay Hian, de s’inspirer de l’intérieur des maisons de Java, mélange d’obscurité, de mysticisme, de rêves et de réalité. De même, la tradition est respectée dans la symbolique à l’œuvre aussi dans les poteries, les sculptures, les marchés, etc.

C’est dire que le film peut paraître difficile d’abord pour un Occidental qui, comme moi, est peu habitué aux fastes et aux mythes mis en place dans la société et dans les textes fondamentaux comme le Mahâbhârata que Peter Brook, d’ailleurs, avait porté à la scène pour un spectacle vivant sublime qui a enflammé la mémoire des Parisiens entre autres. En fait, peut importe : il n’est pas nécessaire de connaître le Râmâyana, par exemple, pour apprécier ce mélange de théâtre d’expression, de danse genre buto et de marionnettes de Java justement. Toute une civilisation extrêmement raffinée et pleine de sens pour mettre à jour et un texte dans toute sa force actuelle, et un style qui n’appartient qu’à lui, Garin Nugroho qui déclarait à Venise, en 2006, à Michel Ciment, le directeur de Positif : « Brodant à partir de la grande tradition du gamelan indonésien, Opera Jawa révèle les riches aspects du théâtre, de la danse et de la musique de Java. Cette joyeuse célébration de la diversité culturelle indonésienne est en même temps un requiem de douleur pour toutes les effusions de sang dans le monde, un reflet de nos vies aujourd’hui, où les problèmes se résolvent dans la cruauté et la tragédie. » Étonnant que le XXIe n’ait apporté, en ce sens, aucun progrès, non ?

Titre original : Opera Jawa

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Durée : 120 mn


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