Milk

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L’adolescence comme motif de l’entre-deux, transition passionnée, exaltée, inconfortable ; le deuxième épisode de la Trilogie de Yusuf se définit d’abord comme une oeuvre de liaison entre l’âge adulte dans « Yumurta » (2007) et l’enfance dans « Miel ».

Épisode cadet par excellence, Milk (Süt) reprend le thème éculé de l’adolescence comme passage obligé, et difficile, entre l’enfance et l’âge adulte. Plus original, le sevrage est ici symbole biologique de l’entre-deux. Cette métaphore prend tout son sens dans une Turquie traditionnelle marquée par une relation mère-fils particulièrement profonde et complexe. Rappelons que symboliquement la mère représente la terre, la patrie, mais aussi la virginité en tant qu’elle relève du sacré. Au cœur de la notion de « mère », on trouve l’honneur familial, la morale et les traditions, sans compter la pureté et la chasteté. Tout au long de son enfance, Yusuf ne connaît qu’une mère dont l’attention se porte naturellement sur sa progéniture, sacrifiant son corps à sa chair. En grandissant, Yusuf voit s’étendre le cordon ombilical – d’où le lait comme lien consubstantiel à la mère – jusqu’à ce que celle-ci redevienne femme et commette le péché : tomber amoureuse du chef de gare de la ville voisine.

Le religieux n’étant jamais bien loin dans l’œuvre de Semih Kaplanoglu, la faute de cette mère-femme donne lieu à l’une des séquences pré-générique les plus inattendues et surréalistes de ces dernières années : une femme, en l’occurrence la mère de Yusuf, est suspendue par les pieds au dessus d’une marmite de lait bouillant, un sorcier y jette une prière écrite, avant d’extirper de la bouche de la femme, un serpent. Le motif biblique est évident, d’autant que le serpent est présent tout au long du film. Face à cette mère – désormais femme – fautive, Yusuf perd ses repères et ses illusions d’enfant. D’autant que la modernisation galopante de la région achève de bouleverser les anciennes valeurs. Face aux diverses tentations, Kaplanoglu affirme la toute-puissance de l’art en faisant de son héros un poète reconnu et immuable dont la morale ne parvient jamais à vaciller.

 


 
L’esthétique originale et particulièrement travaillée de Milk, raviront les adeptes d’un certain naturalisme poétique, présent chez Kiarostami par exemple, bien qu’elle n’ait ni la magie ni l’authenticité de Miel. Au delà de l’intérêt civilisationnel et esthétique, le film a parfois tendance à s’égarer dans un didactisme quelque peu redondant et facile. L’on reste, par exemple, dubitatif face à la manière particulièrement artificielle dont est traitée la jeune fille avec qui Yusuf sort au début du film. Dommage que le film flirte de trop près avec la leçon de morale…

 

Titre original : Süt

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Durée : 102 mn


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