« Mes Copains » de Louis Garrel

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Louis Garrel, acteur plébiscité par Christophe Honoré et Bertolucci, s’accorde une pause de 26 minutes en passant derrière la caméra. Réunissant une bande d’amis, il réalise le si bien nommé : « Mes Copains ». Evitant le dolorisme et le babillage prétentieux d’un « fils de », son court-métrage questionne le rôle de l’image mais souffre d’un scénario un peu mince.

Avec Sylvain Creuzevault, Lolita Chammah, Arthur Igual,  Damien Mongin, Esther Garrel. – Court-métrage
jusqu’au 31 août au Trois Luxembourg, Paris.

Son postulat est simple et naïf, voire capricieux : Il y a des jours où je me dis que je ne mérite pas mes copains. D’autres où je les regarde me regarder et puis je pense : " Les autres ont tous échoué, depuis le début du début, mais nous, on y arrivera. " Et puis je me dis: " Même cette idée-là, elle vieillira, alors vite vite, filmons-la. " On gribouille une histoire de parents qui prennent en otage leurs enfants, et l’on demande à une super jolie fille de jouer le garçon qui les veut toutes. On projette ça en grand et l’on voit ce que ça fait. Ah voilà, mes copains en grand parce que je les trouve très beaux.

    On est en droit de se questionner sur l’intérêt d’une telle entreprise. Et pourtant, sous ce dessein clair et non conventionnel d’un synopsis sous forme de note d’intention, se cache une explicitation de la tâche de nombreux autres cinéastes, à commencer par son père, Philippe Garrel. La source d’inspiration affective et intime est prise à rebours et se dérobe sous une forme fictive. Au final, Mes copains revient au même schéma d’une oeuvre filmique : puiser dans le vrai pour créer de la vraisemblance, passer d’images habitées par le réalisateur à des images perçues par le « voyeur ».

   
D’entrée, Louis Garrel sème le trouble par l’ambiguïté de sa forme. Le résumé sus-cité témoigne d’une ébauche sommaire voire de l’inexistence d’un script. Mes copains serait-il un film de cinéma-vérité, restituant la fugacité, la spontanéité et le temps qui passe d’un groupe d’amis, le sien en l’occurrence ? L’incipit le confirme ; un plan serré surprend un fils et sa mère, cette dernière jouant d’arguments larmoyants pour  arracher et présenter le témoignage écrit de son fils devant le juge chargé de son divorce. En observateur discret, la caméra de Louis Garrel suit la dureté et la dislocation d’une famille, un plan qui reviendra à la toute fin du film, dans la même valeur de plan, même cette fois-ci entre Sylvain et sa soeur, bouclant ainsi la boucle. La deuxième séquence, magnifique de pesanteur et de mystère, élève son acteur, de dos, au  rang de statue, baigné dans une lumière éclatante. Un cadre non-conformiste qui concorde avec le semblant d’essai filmique. Une présence humaine immobile à laquelle répond un travelling s’avançant silencieusement, tel un prédateur prêt, non pas à dévorer, mais à capturer d’un oeil pétulant (plan serré) et limpide (plan large), des instants voués à disparaître.
Dans les minutes qui suivent, la présence d’un visage féminin, les gesticulations clownesques de Sylvain et d’un de ses copains, séparés par la chaussée, révèlent un point charnière dans le court-métrage et sa première démarche. Louis Garrel rompt la dynamique des corps, les capturent pour les canaliser. Il congédie la liberté corporelle accordée un court instant à ses acteurs, pour les confiner dans la sobriété nocturne d’un café, pour les fictionnaliser. Il passe du jour à la nuit, du lieu public extérieur à un enclos amical intérieur, et d’une réalité brute à un onirisme mélancolique.

 

« Là où les images disparaissent elles doivent être remplacées par des images sinon la perte menace. » (Ernest Junger)

Contrairement à ce que supposait la première partie, Mes Copains évite le dolorisme narcissique et la compassion pesante pour une bande d’amis. Pourtant, en 26 minutes, le piège aurait pu s’avérer fatal, conduit par l’ardeur et la floraison de bons sentiments. Adepte des temps de pause et des silences langoureux, Louis Garrel se rapproche d’un portrait géant, contribuant ainsi à l’interprétation de la rhétorique de Roland Barthes. Il fuit la commune image qui enregistre une présence afin de décider de l’immortalité des sujets la composant. Grâce à cette forme non discursive mais esthétique, Louis Garrel remet en cause le rôle de l’image : la reproduction du réel ( est-ce véritablement la vie de ses copains ?), l’affect des sentiments ( un spectateur peut-il être touché ?), la signification ( par sa subjectivité, atteint-il l’universel?).

Attribuant une dimension onirique et esthétique à sa deuxième partie, il en tire des personnages figés dans un autre temps, un temps d’attente et fantastique, entre rejet et apaisement. La figure du père, arrivant subrepticement dans la nuit, telle une silhouette patriarcale et fantomatique, ressuscite le thème baudelairien d’un échec irrémédiable, d’une mélancolie et d’une tendance certaine à refuser le temps qui passe, de rester en enfance. D’ailleurs, la puérilité des propos de Lolita Chammah, qui laissait de prime abord perplexe par sa vacuité, déteint cette malice infantile et vient surplomber la nuit solitaire. Celle-ci est le versant de la sèche réalité, un voyageur immobile, charnel qui conduit à l’utopie d’un monde meilleur et à l’abandon de soi.

Comme Enrnest Junger, Louis Garrel cristallise ses images mémorielles et fugaces en images cinématographiques. Sans coup de génie, Louis Garrel signe un court métrage convaincant, parfois maladroit, mais non dénué d’une esthétique et de mystères qui laissent enthousiaste.

 


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