Maudite pluie !

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Satish Manwar offre un film coloré sur un phénomène réel de la région du Maharashtra en Inde, où le suicide des fermiers est devenu une récurrente réponse à la sécheresse persistante.

« Maudite pluie ! », lance le petit Dinu au ciel lorsqu’une averse s’abat sur la paillasse où il fait sa sieste. « Ne maudis jamais la pluie ! », clame alors Kisna, son père, énervé tel un fou. Le ton est donné. C’est en effet loin des strass et des paillettes des films de Bollywood que Satish Manwar choisit d’offrir un cadre à son film. Originaire de cette région aride de l’Inde, le réalisateur s’intéresse au Maharashtra, à sa grande sécheresse et, plus précisément, à un phénomène récurrent et inquiétant pour la démographie, les familles et le moral des hommes y vivant. Au-delà des considérations économiques liées à l’absence d’eau dans ces régions, Satish Manwar crée un film autour d’un véritable fléau humanitaire : le suicide des fermiers indiens qui sévit depuis 1997 dans ces parties reculées de l’Inde, là où la terre constitue le seul moyen de subsistance des hommes et où une sécheresse continue est à l’origine d’états de désespérance extrême.

« Le fermier cultive sa vie comme il cultive sa terre » : c’est la voix larmoyante et mélodieuse de l’une des nombreuses chansons indiennes qui bercent et égrènent le film. On comprend alors mieux quel destin tragique attend le fermier lorsqu’une pluie tarde à venir, le privant de récoltes. Sélectionné dans de nombreux festivals (plus d’une dizaine), Maudite pluie ! est présenté pour la première fois au festival de Rotterdam, et reçoit le prix du meilleur film au festival international de Pune 2009. Il s’affiche dans les sélections internationales, de Los Angeles à Vancouver en passant par le FestAsia de Bucarest, La Rochelle ou dans la sélection Panorama du festival Asiatique de Deauville 2011. L’actrice principale, Sonali Kulkarni, a déjà été remarquée dans Coup de foudre à Bollywood et Fuoco su di me et, hormis l’actualité officielle annonçant 200 000 suicides depuis 1997 sur la province du Punjab, elle constitue la seule voix déjà exposée hors du film.

« Je suis différent. Ainsi est ma vie. Ma mort sera comme une pluie inopportune. Même les tiges dans la terre noire ressemblent à un poème pour moi. Leurs racines sont aussi douces que la canne à sucre. Ma mort vous semblera probablement insensée. Ici, j’ai laissé mon corps pendre, comme ultime preuve d’existence », (Mr Shrikrishna Kalamb, poète et fermier retrouvé pendu fin mars 2008, dans la région du Vidarbha)

Quelle meilleure illustration pour parler du thème central de ce film. Cette phrase dont les mots se gravent sur l’écran en ouverture semble davantage cruelle que le plan suivant, où un pendu est recueilli par la police dans un champ aride où sa famille s’est accroupie, encadrant l’arbre du drame, porteur de vie… porteur de mort. C’est alors une cascade d’inquiétudes pour Alka, dont le mari manifeste des symptômes à redouter. Elle enrôle alors son fils Dinu pour accompagner son père dans ses sorties journalières et sa belle-mère pour veiller. Kisna, cerné de toutes parts entre ce petit garçon et cette mama rechignant à la tâche, s’exaspère de ce manège dont il est le seul à ignorer la manigance. La pluie tarde à arriver : Alka fait tout pour satisfaire son mari et lui faire oublier leur pauvreté, tandis que Kisna cherche coûte que coûte un moyen de récolter le fruit de ses semences, bravant tous les obstacles, là où d’autres ont déjà abandonné. Mais la mort cueille l’homme à son bon vouloir…

Satish Manwar exploite tous les aspects des comportements humains conditionnés par la sécheresse. Pour tous, il s’agit d’une question de survie, quelles que soient leurs motivations : espionnage pour Alka et la belle-mère créant un humour candide et spontané, innocence de Dinu, qui ne perçoit pas encore la valeur de la pluie, cette eau qui le mouille et ne fait que le réveiller, et Kisna qui, par sa foi et sa persévérance, s’oppose à Patil, dont la présence nonchalante, amère et moqueuse, évoque une approche pessimiste du métier de fermier où il a déposé les armes. « Tu as travaillé tant de jours, semé tant de graines, pour aujourd’hui être aussi riche que moi qui ne fait rien. À quoi bon tant d’efforts ? », dit-il. Enfin, Manwar offre une dimension réaliste et poétique aux rituels d’enterrement, où un père enterrant son fils impose un visage plein de réserve et de dignité, loin des exclamations et des pleurs démonstratifs des femmes. En sourdine, certains profitent également de l’argent de ces suicides où la mauvaise affiliation des terres nécessite des démarches administratives lointaines des paysans qui font alors appel à des intermédiaires.

Malgré le ton dramatique porté par le thème du film, Maudite Pluie ! offre une tonalité comique sur son ensemble. L’enrôlement de Dinu et de la belle-mère pour épier et suivre Kisna sont à l’origine de scènes cocasses. Alka, l’épouse, est aussi pleine d’humour dans sa détermination à dissiper la démotivation de son mari. On sent bien la vocation théâtrale première de Satish Manwar, auteur de théâtre indien à Mumbai. Le caractère parfois grossi des personnages, frôlant la caricature, rejoint cette idée de théâtralité présente dans certains jeux d’acteurs et certains décors : une courette, une paillasse, une chèvre et des personnages hauts en couleur pour rehausser la pauvreté alentour, cette maison et, par extension, ces champs immenses, labourés mais inféconds, qui occupent de nombreux plans du film. Enfin, la musique et les paroles chantant la terre, l’espoir ou les malheurs des paysans, offrent une teinte exotique et une illustration parlante de la vie des fermiers.

Maudite Pluie !, c’est la théâtralité des réalités sociales de l’Inde, un hymne à la terre, à l’eau, mais avant tout une prise de conscience sur ces populations sub-continentales méconnues, et sur leur malheur.

Titre original : Gabhricha Paus

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Durée : 95 mn


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