Mariage à l’italienne

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Durant de nombreuses années, Filumena fut à la fois servante et maîtresse de Domenico. Ce dernier décida finalement de se marier avec une jeune fille de bonne famille.

C’est alors qu’elle décide de lui tendre un piège, lui faisant croire qu’elle est mourante et que son dernier désir serait de se faire épouser. Dès que l’homme cède, la mourante ressuscite et lui apprend qu’il est déjà le père d’un de ses enfants…

Pendant longtemps,  les chefs d’œuvres de la comédie italienne furent les parents pauvres de l’essor du DVD. Pas assez reconnus et appréciés des anglo saxons pour bénéficier d’éditions zone 1 soignées (ce qui fut le cas pour les genres plus populaires comme l’horreur ou le western à l’italienne), et mollement exploités sur leur terre d’origine, les italiens peinant à exploiter leur patrimoine cinématographique exceptionnel en DVD, malgré les rediffusions massive de toutes ces comédies sur les divers canaux de la RAI. Même la France, où toutes ces œuvres sont fort populaires, les avait sorties au compte goutte, notamment le féroce Affreux, Sales et méchant de Ettore Scola, Le Fanfaron ou encore le film à sketches Les Monstres. La donne semble avoir quelque peu changé ces derniers temps, entre superbe rétrospective du genre à la Cinémathèque il y a 3 ans, et un hommage à Mario Monicelli l’an dernier. Le DVD a également bénéficié de ce regain d’intérêt, avec la sortie l’an dernier de Les Nouveaux Monstres, une flopée de sorties chez l’éditeur SNC et donc ce Mariage à l’italienne, tout récemment édité par Carlotta –  qui nous avait déjà permis de découvrir l’excellent film à sketches Boccace 70.

On retrouve dans le film de De Sica le réjouissant mélange de genres et de ton faisant tout le charme de la comédie italienne.  Le scénario, brillant, alterne ainsi avec brio la grosse farce outrancière, le drame et le romantisme, par la grâce d’astuces narratives bien placées (les deux flash-backs sous les points de vue des deux protagonistes en ouverture), de révélations bien amenées qui relancent constamment l’action et font basculer le film dans quelque-chose de plus profond qu’il n’y paraît à première vue. Tous ces revirements sont symbolisés par les transformations du personnage de Sophia Loren, qui livre ici une prestation époustouflante. Tour à tour jeune fille naïve découvrant la vie, puis quarantenaire bafouée bien décidée à regagner son honneur de femme et susciter le respect et l’amour de Mastroianni en l’épousant. Ce dernier est tout aussi brillant, arrivant à rendre humain et attachant un personnage de coureur égoïste vraiment odieux par instants.

Le film trahit ses origines « théâtrales », dans le bon sens du terme, à travers les scènes de ménage dantesques du couple Mastroianni-Loren, dans une forme olympique (la scène qui suit la révélation sur la santé de Sophia Loren est un grand moment) et De Sica, par sa réalisation toute en mouvement, apporte une belle énergie à l’ensemble, avec en prime une direction artistique splendide, une photo superbe et un Naples en pleine reconstruction brillamment illustré en arrière plan (discrète allusion au passé néo réaliste de De Sica).

On retrouve l’émotion dont De Sica est capable lors de quelques moments bouleversants, tels Loren révélant son passé douloureux à ses fils, qui la rencontrent pour la première fois ; les quelques scènes pathétiques où elle subit le mépris inconscient de Mastroianni dans sa jeunesse (la sortie au champ de course vide, l’enterrement de la mère), et bien sûr le finale magnifique, où elle laisse enfin couler ses larmes.

Des bonus courts mais très intéressants, avec l’intervention des deux critiques Alain Garel et Sabrina Piazzi. Ces derniers retracent avec érudition et concision le parcours de De Sica, passé du néo-réalisme à la comédie populaire, sa carrière d’acteur de comédie, où il partagea souvent la vedette avec le couple de cinéma Loren-Mastroianni, entretenant ainsi avec eux des rapports privilégiés  contribuant sans doute à l’inspiration de leurs  performances futures dans son cinéma.


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