Madeinusa

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Le film de Claudia Llosa, son premier long métrage, joué par des acteurs débutants, est d´abord la fable d´une quête identitaire narrant l´histoire d´un parricide, celui de Madeinusa, à la portée symbolique forte (libération du joug d´une culture pseudo-religieuse asphyxiante, incarnée par la figure du père). Le bouleversement de la vie de la jeune villageoise […]

Le film de Claudia Llosa, son premier long métrage, joué par des acteurs débutants, est d´abord la fable d´une quête identitaire narrant l´histoire d´un parricide, celui de Madeinusa, à la portée symbolique forte (libération du joug d´une culture pseudo-religieuse asphyxiante, incarnée par la figure du père).

Le bouleversement de la vie de la jeune villageoise est la conséquence de l´arrivée de Salvador, qui échoue par hasard à Manayaycuna, village andin imaginaire au-delà duquel il n´y a plus de route. Là, séquestré, il est d´abord le témoin d´une fête rituelle étrange, célébrant de manière carnavalesque et orgiaque la résurrection du Christ, dont la particularité est d´offrir aux villageois, le temps d´assouvir leurs envies, quelques péchés invisibles à Dieu qui alors est aveugle. Trois jours donc, qui délimitent également le temps de l´action du film et au cours desquels Salvador deviendra le premier amant de Madeinusa, fille du maire, élue Vierge de l´année avant d´être la victime de la libération de cette dernière, libération qu´il a lui-même permise. Bref, on le croit héros du film, et pourtant il n´en est que le prétexte. Ce n´est en effet pas de son histoire dont il s´agit, mais du destin de Madeinusa, promise à la volonté incestueuse de son père sous le regard plein de ressentiment de sa soeur jalouse. Salvador n´est qu´un élément révélateur, suggérant un possible échappatoire (qui s´avérera en partie vain : le père arrivant à ses fins), allant jusqu´à proposer à Madeinusa de l´emmener avec lui à Lima où la mère de la jeune fille a fui ce père-maire à l´autorité apeurante.

La narration de Madeinusa est donc riche, et peut-être même trop : à vouloir tout dire de la libération féminine dans un contexte traditionnel sali de corruption et de trahison, le film se tend un piège, celui de la métaphore par trop éclatante, renonçant du même coup à évaluer la culture andine pour ce qu´elle est ; au profit d´une énumération caricaturale de ce qu´elle peut vraisemblablement être : violente, méchante, et finalement dénuée de toute identité autre que perverse. Certes la fête permet tout, mais à partir de cette liberté n´est envisagé que le mal, même au travers du personnage de Madeinusa, d´abord suggérée innocente et victime, mais qui elle aussi finira par tuer et trahir, alors même que les jours saints sont passés et que la vie doit redevenir exemplaire. Or l´histoire ne se contente de cette exposition d´un au-delà de la morale, de cet iconoclasme rafraîchissant (comme le parallèle entre le Christ et l´odieux père, tous deux embrassés dans une même composition de plans), du comique de situations absurdes (le concours de crachat entre Salvador et un ivrogne). On s´interroge en effet sur la portée du regard de Salvador, par lequel on est amené à tout découvrir, ou presque, de Madeinusa et de sa culture, et donc que l´on nous donne à partager.

Le problème vient peut-être du fait que ce regard imposé, cautionné par la réalisation, sur une communauté inventée à partir de l´existence de communautés réelles, imprégnée ici d´un syncrétisme religieux douteux et de moeurs corrompus, est seulement fantaisiste. La fête que le film montre donne au spectateur l´impression d´être voyeur d´un spectacle faisant référence au réel sans le considérer, le trompant en quelque sorte : l´aspect anthropologique n´est ainsi pas ou peu assumé ; et il ne s´agit plus là d´une ambiguïté morale mais bien éthique. Quand on montre une croyance du point de vue anthropologique, ne faudrait-il, tel que le pensait Jean Rouch, croire la croyance des autres ? Ou alors cette immersion dans le vécu de la communauté n´est-elle à son tour, après l´irruption de Salvador, que le prétexte-moteur du film dont les fins sacrifieraient toute volonté de témoignage ? Pourquoi alors ce parti pris quasi-documentaire (acteurs amateurs de la région, quotidien et traditions imités) ?

De fait, ni la qualité visuelle indéniable du film, ni la pirouette finale surprenante (qui ne fait qu´entériner une certaine idéologie << made in usa >> : chacun pour soi), ne suffisent à rendre pareille chronique autre qu´équivoque ; et le propos honorable de la métaphore filée tout le long du récit (la libération de la femme, la quête du bonheur, bien que ce bonheur ne soit jamais qu´individuel, sont des thèmes qui ne laissent pas insensibles) se trouve quelque peu entaché de ce flou d´intentions descriptives.

Titre original : Madeinusa

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Durée : 100 mn


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