Livre « Mon Hollywood » de Peter Biskind

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Après les épopées du Nouvel Hollywood et du cinéma indépendant américain, Biskind se penche sur son parcours personnel et celui de la critique américaine.

Peter Biskind, grand observateur du cinéma américain des quarante dernières années avait fait sensation avec ses deux livres Le Nouvel Hollywood et Sexe, mensonge et Hollywood. Le premier, comme son titre l’indique, dépeignait l’ascension irrésistible de jeunes réalisateurs (Coppola, Scorsese, Friedkin…) qui allaient bousculer le système des studios vieillissant pour prendre le pouvoir et changer la face du cinéma américain. Le second racontait lui l’histoire du cinéma indépendant américain des années 90 et la mainmise inattendue qu’il prit par la grâce de quelques talents (Tarantino, Soderbergh, Kevin Smith…) et personnalités (les frères Weinstein bien évidemment) hautes en couleur. Dans les deux cas, les livres passionnaient et fascinaient par leurs mélanges d’analyses critiques et d’anecdotes racoleuses dignes du tabloïd le plus putassier.

Ce mariage des genres audacieux est encore une fois au centre de ce nouvel ouvrage, Mon Hollywood. Plutôt que de s’attaquer aux petites histoires du cinéma des années 2000 (il est sans doute encore trop tôt pour que les langues se délient), Biskind effectue au contraire un retour en arrière. Le livre est en fait un recueil de textes des débuts de l’auteur au début des années 70 jusqu’à la fin des années 90. Le piège aurait été une mise bout à bout de textes sans fil conducteur mais Biskind l’amorce d’emblée dans son introduction. Celui-ci a démarré dans la critique à une époque chargée en soubresauts politiques et sociaux : Guerre du Vietnam, militantisme raciaux des Blacks Panthers, mouvement flower power. L’approche des films obéissait donc à un tout politique constant, parfois judicieux, parfois tarabiscoté. Avec le temps, la mainmise des studios et l’arrivée de grands groupes de communication dans le capital des revues sonnent le glas d’une analyse trop poussée, faisant fuir le grand public. Du milieu des années 80 jusqu’à la fin de la décennie suivante, l’heure est donc à la starification, aux portraits et à la recherche d’informations « croustillantes » sur les personnalités en vue du milieu. Les portraits peu reluisants et les descriptions imagées des habitudes les moins nobles des stars prennent alors le pas sur la critique pure, des magazines comme Premiere se plaçant sur le même créneau que les journaux à sensations. Cependant, cette approche est moins manichéenne qu’il n’y paraît, Biskind expliquant que cet aspect permet une approche tout aussi passionnante de l’œuvre dans les contradictions qu’elle dévoile entre un artiste et son image publique. Il avait d’ailleurs prouvé dans Le Nouvel Hollywood et son successeur qu’il maîtrisait parfaitement cet équilibre précaire. Mon Hollywood dont les textes sont présentés dans l’ordre chronologique présente, à travers le regard de Biskind, une certaine évolution de la critique américaine. Un des chapitres les plus prenants est d’ailleurs consacré à l’évolution de la critique américaine d’après guerre.

Pour la facette politique des débuts, le passionnant côtoie donc l’abscons. Un texte de 1980 propose ainsi une analyse en profondeur sur le machisme dans la classe ouvrière hollywoodienne dans des films qu’on n’a pas l’habitude de voir ainsi décortiqués comme les deux premiers Rocky, La Fièvre du Samedi Soir ou Le Parrain. Le texte sur le Blue Collar de Schrader fait un peu doublon pour qui a lu Le Nouvel Hollywood, les mécanismes du cinéma de Spielberg/Lucas en offrent un bon complément, plus poussé. On saluera également quelques prises de position courageuses en leur temps comme la descente en flèche de la série Holocauste ou l’aspect tendancieux trop souvent écarté du Voyage au bout de l’enfer de Cimino.

C’est quand il mêle à outrance convictions et actualités du moment que Biskind se fourvoie dans ses textes de jeunesse. On perd ainsi rapidement le fil de l’article consacré aux films de monstres et sa grille de lecture incompréhensible, tout comme cette fâcheuse tendance à voir des vietcongs partout (le passage sur le Retour du Jedi où ils sont associés aux Ewoks). C’est clairement le reflet d’une époque dont on aurait tort de rire puisque les années 2000 prirent pour un temps la même tournure, les blockbusters les plus décérébrés voyant constamment le lien fait avec l’Irak et des auteurs à court d’inspiration encensés (George Romero, Brian De Palma et son Redacted de sinistre mémoire) plus pour leur engagement que les qualités de leurs œuvres.

La partie « people » est aussi assez inégale. Biskind donne ainsi dans le racolage pur et simple avec tout ce qui a trait au sulfureux Don Simpson (auquel Charles Fleming consacra un ouvrage dans le plus style Biskind). A l’inverse, certains portraits s’avèrent réellement passionnants, notamment la déchéance de l’ancien agent Sue Mengers, personnalité haute en couleur comme on n’en fait plus. Terence Malick ne sort pas grandi de la description qui est faite de lui, bien éloignée de l’artiste doux rêveur qu’on connaît. C’est la grande force de Biskind de cerner sous un jour neuf et peu reluisant certaines figures intouchables, Robert Redford en ayant fait les frais dans Sexe, Mensonges et Hollywood. Pour qui a apprécié les précédents ouvrages de Peter Biskind, une lecture indispensable donc car riches d’enseignements dans ses meilleurs moments comme ses égarements, d’un point de vue historique et sociologique.

Paru aux éditions Cherche-Midi

 


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