Livre « Les plus grands films que vous ne verrez jamais » de Simon Braund (dir.)

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Dalí et les Marx Brothers, Chaplin en Napoléon, Hitchcock sous influence d´Antonioni… Lisez ces films que vous ne verrez jamais.

Après actrices et acteurs, les projets non réalisés des grands cinéastes sont sans doute la plus grande source de fantasmes chez les cinéphiles. Qu’on pense à ¡Que Viva México! d’Eisenstein, au pharaonique Napoleon de Kubrick, au Kaleidoscope d’un Hitchcock fasciné par la vision de Blow-Up (Michelangelo Antonioni, 1966) ou au Don Quichotte qui gangrène la carrière de Terry Gilliam depuis tant d’années, ces projets jamais réalisés sont parfois aussi connus – voire aussi importants – que les films existants. Cet ouvrage coordonné par Simon Braund, ancien chroniqueur de la revue Empire, revient sur une cinquantaine de ces films devenus mythiques parce que justement inachevés. Dreyer, Fellini, Jodorowski, Coppola, Wong Kar-wai, les frères Coen… La liste est longue et fait saliver.

« Je suis à Hollywood, où j’ai pris contact avec les trois surréalistes américains : Harpo Marx, Disney et Cecil B. DeMille. »
Salvador Dalí qui ne réalisera jamais Giraffes on Horseback Salads avec les Marx Brothers, ni Destino avec Disney.

On est ici plus proche du coffee table book que de la grande rigueur scientifique, mais ne boudons pas notre plaisir. Balayant presque un siècle de Return from St. Helena de Charlie Chaplin à Potsdamer Platz par Tony Scott (thriller sur le crime organisé à l’ère post-soviétique), chaque film bénéficie en quelques pages d’un traitement circonstancié : évocation du scénario, place dans la carrière de l’auteur, casting éventuel et surtout état d’avancement du projet. Si l’adaptation de Fifi Brindacier par Hayao Miyazaki dès 1971 n’a pas dépassé le stade des esquisses, Orson Welles multiplie les films avortés dont les tournages sont quasi ou en totalité terminés (Don Quixote, 1969 ; Le Marchand de Venise, 1970 ; The Deep, 1970 ; The Other Side of the Wind dans les années 1970). Si ces films n’existent pas – ou alors seulement par le montage des rushes des tournages de manière posthume pour certains Welles ou pour le mythique dernier film de Marilyn Monroe, Something’s Got to Give (1962) de George Cukor -, ils donnent pour beaucoup réellement envie d’être vus. De manière ludique, chaque article évalue la possibilité pour chacun d’eux d’exister aujourd’hui : retrouver et remonter les rushes, reprendre un scénario avec un nouveau réalisateur… Mieux vaut sans doute rester sur sa faim que de voir des films pétrifiés par le poids d’un réalisateur qui n’a pu les mener à bien. On se contentera d’en rêver avec à l’appui les affiches créées par une quinzaine de designers pour chaque film dans l’esprit du réalisateur et de l’époque du projet : une réussite.
 
 

      
Giraffes on Horseback Salads
de Salvador Dalí – Megalopolis de Francis Ford Coppola – Night Skies de Steven Spielberg
 

De ce livre, on regrettera surtout le ton parfois un peu trop familier employé à l’égard de certains réalisateurs. Plutôt que d’établir une connivence avec le lecteur (on suppose que c’est le but recherché), cela a tendance à décrédibiliser l’ouvrage. Un vrai travail sur les sources documentaires manque aussi cruellement. Si une (très) brève bibliographie est disponible, les sources ne sont pas communiquées pour les très nombreuses citations sur chaque film. C’est fort dommage pour un livre qui donne souvent envie de poursuivre les recherches. Enfin, l’ancrage très anglo-saxon (les trois-quarts des films évoqués) est préjudiciable. Cela ne laisse qu’une place très limitée à des cinématographies plus discrètes et non occidentales, dont seuls persistent Shantaram de l’Indienne Mira Nair (c’est d’ailleurs l’unique réalisatrice citée dans l’ouvrage, à croire que les cinéastes féminines mènent toujours leur projet à bout ?) et The Lady from Shanghai le projet (pour l’instant) avorté de Wong Kar-wai avec Nicole Kidman. On ne s’attendait certes pas à une encyclopédie, mais un peu plus de curiosité et de diversité n’auraient pas fait de mal. À l’image de ces nombreux films non réalisés, on reste un peu sur notre faim.

Les plus grands films que vous ne verrez jamais de Simon Braund (dir.), Éditions Dunot, 256 pages – Disponible depuis le 30 octobre 2013.


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