Little New York

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Le quartier délaissé de Staten Island comme métaphore de l’échec : judicieuse idée pour ce << petit >> film de mafieux new-yorkais, qui joue la carte de l’humour noir. Bons acteurs, belle lumière : on pense aux frères Coen. Mais… en moins bien.

Vidangeur de fosses septiques pour l’un, modeste épicier sourd-muet pour l’autre : James Demonaco a l’art de débusquer des emplois inattendus, quoique hautement symboliques, pour au moins deux des trois anti-héros de son premier long métrage ! Malin, cet amateur de thrillers et autres films de genre – c’est lui qui a écrit le remake d’ Assaut sur le Central 13 – connaît, de fait, le talent de la métaphore au cinéma, dès lors qu’elle se teinte d’ironie, de clins d’œil, de second degré, histoire de ne jamais perdre tout à fait… de vue le spectateur ! Un vrai story-teller 

Or donc, voici Little New York, fable apparemment aimable, voire badine – confer l’ouverture, façon actualités Pathé des années 50 – mais, au fond, très composée et très écrite. Jugez plutôt : elle niche d’emblée ses références cinéphiles comme sa quête de sens dans le district le plus isolé, voire le plus méprisé de la  Big Apple : Staten Island. Bonne idée ! Longtemps désignée comme une sorte de cité dortoir de la mafia, l’île s’est aussi distinguée pendant des années en étant la décharge de Manhattan, du Bronx et du Queens. C’est dire si les losers, magnifiques ou pas, y ont fleuri avantageusement. Et c’est dire si le très italo-américain qu’est Demonaco, originaire précisément de ce sous-quartier, y a vu le cadre idéal pour revisiter le genre emblématique de sa culture et de sa génération : le film de mafieux. Une fois de plus, soupireront les exégètes ? Oui, mais bon… il y a un ton. Une tentative en tout cas. Et, en effet, son troisième personnage principal se nomme Parmie Tarzo, un chef de la mafia locale qui aimerait bien, comme d’hab’, liquider toute concurrence, mais entre deux séances d’apnée prolongée dûment chronométrée à la piscine…

Célébration des codes d’un côté (coup foireux, règlements de compte inévitables, mère italo-castratrice, paternité compliquée et autres balivernes sanglantes) et détournements de ces mêmes codes de l’autre (le mafieux en quête de célébrité, qui se perche durablement sur un arbre afin de sauver la forêt) : on ne peut nier, en tout cas, l’ambition comme le plaisir joueur du scénariste aguerri qu’est Demonaco. La bonne surprise, c’est que ce réalisateur néophyte ne se repose pas que sur sa seule dextérité narrative, finalement classique (trois destins parallèles qui tricotent chacun leurs échecs avant de se croiser, pour le pire forcément). Non, si Little New York intrigue, c’est certes en premier lieu par l’originalité touchante, burlesque, de ses personnages et du site dans lequel ils évoluent (et s’embourbent). Mais c’est aussi, petit à petit, par le soin porté au cadre et aux couleurs, passant judicieusement du naturalisme à la composition onirique. Décalée et fabuleuse, en quelque sorte.

Une chance pour le film. Car à force d’être écrit, Little New York le devient un peu trop. Même pourvu des meilleurs comédiens du genre – génial et inquiétant Vincent D’Onofrio – il ne parvient jamais totalement à être incarné. Et Dieu sait, pourtant, que la gueule burinée d’un Seymour Cassel mutique, complice historique de John Cassavetes, pourrait être expressive ! Alors ? Sont-ce ces allers-retours toujours très délicats entre humour et film noirs qui nous tiennent à distance et nous empêchent d’adhérer totalement ? James Demonaco n’atteint pas, de fait, l’étrangeté brillante, transgressive et dévastatrice des frères Coen. Ceux-là mêmes dont on sent l’influence tutélaire. Outre les petits moments d’arythmie voire d’ennui qui pointent çà et là, son Little New York  distille par instants juste le sentiment d’être un jeu astucieux. Voire une pose, un rien artificielle. C’est d’autant plus dommage qu’au départ il s’agissait, très justement, très joliment, de mettre en lumière une poignée de laissés-pour-compte terriblement humains, puisque liés par ce sentiment d’insignifiance terriblement… universel.

Titre original : Staten Island

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Durée : 96 mn


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