Let My People Go !

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Famille, je vous hais ?

Jeune homme juif et homosexuel, exilé à des lieues de son foyer parisien aux côtés d’un bel et blond Finlandais, Ruben, facteur de son état, se retrouve suite à une histoire de recommandé non accepté avec un peu moins de 200 000 euros dans les poches. Jour de fête ? C’est plutôt le début des embrouilles. Viré par son amant qui le prend pour un voleur, il saute dans un avion direction Paris où il se retrouve plongé dans le chaos familial qu’il avait déserté.

Bien plus énergique et moins mélancolique que la chanson Go Down Moses de Louis Armstrong dans les paroles de laquelle il est allé chercher son titre, Let my people go ! est une comédie qui joue la carte d’un empilement très rapide de situations conflictuelles quasi-insolubles plongeant ainsi son personnage dans un engrenage infernal. Ca fonctionne plutôt bien : le cinéaste et son comédien (Nicolas Maury) parviennent à construire à force de lui mettre toujours un peu plus la tête sous l’eau une figure comique crédible, vivante, résistante, entre un Keaton, un Allen et un M. Hulot un peu speed. Jamais à la bonne place. Décalée mais toujours debout, toujours catastrophée, toujours drôle.

Par ailleurs soucieux de mettre en avant les enjeux psychologiques, le film fait de la cervelle de son personnage matière à de multiples explosions. Coincé entre les rouages d’une identité culturelle fortement entretenue par sa famille – portée par deux comédiens pour le moins imposants : Carmen Maura comme mère et Jean-François Stévenin comme père – et ses propres sentiments et convictions, le pauvre Ruben apparaît d’emblée au bord de l’asphyxie. Cet épuisement du corps et de l’esprit auquel il est soumis ouvre la porte à des moments d’une hystérie qui peuvent sembler excessifs (voire agaçants), ainsi qu’à la figuration d’un lâcher-prise émouvant. Jouant de grands écarts s’effectuant parfois le temps d’une coupe, le film se balade ainsi allègrement d’Helsinki à Paris, de la maison au commissariat (la scène de fouille est une vraie réussite) à la synagogue, mais également du rire aux larmes, de la colère à la réconciliation, d’envies de meurtres en embrassades… Il s’aménage ainsi les possibilités de surgissements comiques – tant par les mots que par le jeu, les situations, les images… – de tous les instants. Et réussit globalement à tenir ce rythme trépidant jusqu’au bout.

Finalement assez proche de toute une part du cinéma français qui va puiser dans l’intensité du désordre familial matière à créativité (il y a là toute une énergie à convertir en plans, à organiser), Let my people go ! trouve son originalité dans le côté un peu foutraque et parfois presque cartoonesque de sa mise en scène. Fantaisiste, le film de Mikael Buch met au service de son récit un certain amour de l’image allant puiser dans une cinéphilie éclectique (Disney, Almodovar…) sur le ton du détournement décomplexé (voir les images d’une Finlande totalement imaginaire dans les premières scènes, entre merveilleux enfantillage et ironie). Et même sans parvenir à atteindre les sommets de fluidité de ses modèles les plus aboutis, il affirme une identité de cinéaste. C’est déjà beaucoup.
 

Titre original : Let My People Go !

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Durée : 98 mn


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